Brevet unitaire européen : le Parlement européen suspendu à l'avis de ses services juridiques pour la reprise des discussions, une dépêche AEF

Printer-friendly versionPDF version

Après que le Parlement européen a décidé début juillet 2012, de reporter son vote en plénière sur le brevet unitaire et que sa commission des affaires juridiques (JURI) s'apprête donc à examiner à nouveau le dossier, l'AEF, agence de presse spécialisée, a publié trois dépêches faisant le point sur la situation actuelle. Avec l'aimable autorisation d'AEF, nous reproduisons ici la première dépêche décryptant le processus législatif. Vous pouvez également retrouver une interview de Gérald Sédrati-Dinet, conseiller sur les brevets pour l'April, ainsi qu'une révélation d'un rapport des services juridiques du Parlement.

DÉCRYPTAGE. Brevet unitaire européen : le Parlement européen suspendu à l'avis de ses services juridiques pour la reprise des discussions

Anne Roy
Domaine : Recherche et Innovation
Rubriquage : Actualité - Propriété intellectuelle - Parlement - Union européenne

La « commission juri » (des affaires juridiques) du Parlement européen est, lundi 10 septembre 2012, toujours en attente de l'avis des services juridiques sur l'impact de la décision, prise par les chefs de gouvernement lors du Conseil européen le 29 juin 2012, de supprimer les articles 6 à 8 du règlement instaurant un brevet unitaire européen. « Le règlement sur le brevet ne sera certainement pas discuté lors la prochaine réunion de la commission » des 17 et 18 septembre 2012, indiquent en conséquence à AEF les services de Bernhard Rapkay (S&D, Allemagne), membre de la commission et rapporteur pour cette législation, sans préciser quelles options sont à l'étude pour la suite des négociations. Ce point ne figure d'ailleurs pas à l'agenda provisoire de la prochaine réunion de la commission.

La législation sur le brevet unitaire européen actuellement en discussion consiste en un « paquet » qui comprend trois aspects. Le premier volet législatif met en place un système de protection du brevet unitaire (rapporteur : Bernhard Rapkay1). Le second volet détermine le régime proposé au niveau de la traduction des brevets européens (rapporteur : Raffaele Baldassarre, PPE, Italie). Le troisième consiste en un accord international pour créer une juridiction unifiée en matière de brevets (rapporteur : Klaus-Heiner Lehne, PPE, Allemagne).

Seule la première partie du projet fait l'objet d'une procédure d'adoption en co-décision (dans laquelle le Parlement européen vote). Les deux autres font l'objet d'un accord entre les États membres concernés (tous sauf l'Italie et l'Espagne), le Parlement n'étant sollicité que pour avis.

PLUSIEURS DÉCENNIES DE NÉGOCIATIONS POUR UN RÉGIME UNIFIÉ

Depuis la signature de la convention de Munich, le 5 octobre 1973, qui rassemble aujourd'hui 38 pays, une entreprise ou une personne qui souhaite déposer un brevet a deux possibilités, rappelle le député Philippe Cochet (UMP) dans une communication à la commission des affaires étrangères (AEF n°162282). Soit « elle effectue des démarches distinctes auprès des services nationaux de la propriété intellectuelle de tous les États membres dans lesquels elle souhaite protéger sa découverte et traduire le texte dans toutes les langues officielles de ces pays ». Ou bien, « à partir d'une demande rédigée dans une seule langue – l'anglais, l'allemand ou le français – l'Office européen des brevets peut délivrer un groupe de brevets nationaux valables dans autant de pays que souhaités, à déterminer par le demandeur parmi les pays signataires de la convention de Munich ». Pour le député, ce second processus reste « complexe, source d'insécurité juridique et coûteux » puisque « les inventeurs désireux de déposer un brevet dans plusieurs pays sont tenus de le traduire dans chacune des langues nationales concernées ».

C'est donc au nom de la compétitivité de l'Europe, dont il s'inquiète qu'elle « passe peu à peu derrière les États-Unis et la Chine en termes de nombre de brevets délivrés », que Michel Barnier, commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, souhaite voir aboutir sa proposition de brevet unitaire, dernière en date après une série d'échecs de l'Union européenne pour s'accorder sur ses modalités. D'après le commissaire, cette réforme « permettra la création d'un système de dépôt simplifié, (…) réduira fortement les coûts de protection des brevets. Tous les futurs brevets unitaires seront in fine disponibles dans toutes les langues officielles de l'UE, ce qui permettra la transmission du savoir et profitera aux inventeurs. »

RECOURS CONTRE LA COOPÉRATION RENFORCÉE : AUDITIONS LE 25 SEPTEMBRE

Mais c'est justement sur la question linguistique que les 27 États membres de l'Union européenne n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Aussi, comme le traité de Lisbonne en offre la possibilité, le 14 décembre 2010, à la demande de douze États membres dont la France, la Commission a accepté de lancer une « coopération renforcée » (accord entre plusieurs États membres) dans le domaine de la protection unitaire par brevet. Treize autres États membres s'y sont joints, le Parlement européen a donné son accord le 15 février 2011 et le 10 mars suivant, le Conseil « compétitivité » a autorisé le lancement d'une coopération renforcée avec la participation de 25 États membres.

Deux pays sont restés hors du processus, l'Italie et l'Espagne, et ont déposé un recours devant la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne). Des auditions de la Cour sur le sujet sont prévues mardi 25 septembre 2012 au Luxembourg.

QUEL RÔLE POUR LA COUR DE JUSTICE DE L'UNION ?

Le 8 mars 2011, la Cour de justice de l'Union européenne, sollicitée par le Conseil des ministres de l'UE, rend un avis négatif sur le projet d'accord visant à la création d'une juridiction du brevet européen (le troisième volet du « paquet brevet »), qu'elle n'estime pas conforme au droit communautaire (AEF n°146615). Son principal grief tient au fait que la juridiction du brevet est indépendante de la juridiction européenne. « La seconde mouture du texte rédigé, adopté par le Conseil au mois de juin 2011, a donc postulé l'existence d'une juridiction indépendante qui pourra poser des questions préjudicielles à la CJUE », expliquait à AEF Jean-Christophe Galloux, coprésident de l'Irpi (Institut de recherche en propriété intellectuelle), début juillet 2012 (AEF n°169183).

C'est ainsi qu'en décembre 2011, un « trilogue » (concertation préalable tripartite) entre la Commission européenne, la commission parlementaire Juri et le Conseil se met d'accord sur les deux premiers volets du « paquet brevet » le 1er décembre 2012. Ne reste alors officiellement plus en suspens que le troisième volet, avec comme seul point de désaccord, l'emplacement du siège de la future juridiction européenne en matière de brevets que se disputaient la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

LA JURIDICTION PARTAGÉE ENTRE PARIS, LONDRES ET MUNICH

De report en report, la décision est prise à l'occasion du Conseil européen du 29 juin 2012 (AEF n°168862). L'accord conclu par les chefs de gouvernement des États membres concernés stipule que « le siège de la division centrale du tribunal de première instance de la juridiction unifiée en matière de brevets, de même que le bureau du président du tribunal de première instance, seront établis à Paris ». Cet accord prévoit par ailleurs la création de deux pôles spécialisés de la division centrale, l'un à Munich en Allemagne pour l'ingénierie mécanique, l'autre à Londres au Royaume-Uni pour la chimie-pharmacie et les biens de première nécessité.

Mais pour parvenir à cet accord, le chef du gouvernement britannique David Cameron a obtenu que soit supprimés les articles 6 à 8 du premier volet législatif, le règlement pour la mise en place du système de brevet unitaire adopté par le trilogue en décembre 2011. Michel Barnier salue néanmoins « une étape décisive vers la création d'un brevet unitaire et d'une juridiction unifiée des brevets en Europe ».

« L'article 6 définit une violation directe d'un brevet unitaire, l'article 7 une violation indirecte et l'article 8 les limites des droits conférés par un tel brevet », rappellera quelques jours plus tard le Parlement européen. Ils définissent ainsi l'étendue du droit accordé par un brevet unitaire. S'ils figurent dans le règlement, il font partie du corpus de droit de l'Union et la CJUE est compétente pour déterminer si un jugement sur une contrefaçon de brevet unitaire respecte bien les traités. Dans le cas contraire, s'ils ne sont plus définis par le règlement (1er volet du paquet), mais seulement dans l'accord international instaurant la cour unifiée des brevets (3e volet), la CJUE n'est plus compétente et les décisions de la seule juridiction unifiée et spécialisée seraient sans recours.

LE PARLEMENT REPOUSSE SON VOTE ET SOLLICITE LES SERVICES JURIDIQUES

Lundi 2 juillet 2012, le Parlement européen décide à l'unanimité de reporter à la mi-septembre le débat et le vote sur les propositions législatives de la Commission européenne sur le brevet unitaire européen initialement prévus pour la séance plénière du mecredi 4 juillet 2012 (AEF n°168965 et 169446). Entre-temps, elle compte solliciter l'avis des services juridiques du Parlement européen.

« Il ne s'agit pas que d'une question de procédure », déclare à cette occasion l'eurodéputé Bernhard Rapkay devant le Parlement. « Il s'agit vraiment d'une question de fond. Parce que, d'après l'avis de beaucoup ici, le Conseil, dans la négociation, avait déjà voulu éliminer ces trois articles. C'est une violation du droit européen ! Ils veulent un règlement mais ils enlèvent justement trois articles qui expliquent comment fonctionne ce règlement. » Puis il précise, dans un communiqué que selon lui, « l'initiative du Conseil européen de supprimer trois articles clés de la réglementation, tant attendue, sur le brevet de l'UE [réduit] considérablement le pouvoir de la Cour européenne de justice de l'appliquer, viole le droit de l'UE. Si vous retirez ce contenu, il ne reste rien à réglementer. » Les députés reprochent également au Conseil d'être revenu sur l'accord trilogue conclu en décembre 2011 et souligne que c'est « la première fois » qu'un acteur revient sur ce type d'accord, informel mais courant dans les procédures européennes.

Contacts :

Lire aussi dans les dépêches :

© Copyright AEF - 1998/2012 - 59233
Conformément au code sur la propriété intellectuelle, toute reproduction ou transmission, de cette dépêche est strictement interdite, sauf accord formel de AEF.

  • 1. Voir ici le rapport « sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil mettant en oeuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection par brevet unitaire », ici le rapport sur « sur le projet de règlement du Conseil mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection par brevet unitaire, en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction », et ici le rapport « sur le système juridictionnel pour les litiges en matière de brevets ».
    Voir ici la fiche de procédure législative du Parlement européen.