Motion sur le projet d’une juridiction européenne pour les brevets d’invention de professeurs de droit et d'avocats

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Les professeurs de droit et les avocats soussignés estiment nécessaire d’attirer l’attention sur ce qui suit au sujet du projet d’une juridiction européenne spécialisée en matière de brevets d’invention.

Cette juridiction ferait l’objet d’une convention à conclure entre la plupart des États membres de l’Union européenne. La convention encore en projet a pour objectif de créer une nouvelle juridiction de caractère international pour statuer en matière de validité et de contrefaçon des brevets européens et des futurs brevets unitaires. La compétence de cette juridiction serait exclusive de celle des juridictions nationales.

Le 8 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un avis négatif sur le projet de convention que lui avait soumis le Conseil. Elle a déclaré ce projet incompatible avec le Traité sur l’Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (avis n° 1/09).

Depuis lors, le projet de convention a été amendé notamment dans le but de répondre aux objections de la Cour.

Néanmoins, des doutes sérieux ont été exprimés sur la conformité de ce nouveau projet à ces objections.

Ces doutes proviennent essentiellement du fait que le projet enlève aux juridictions nationales toute compétence dans les matières prévues, privant ainsi les justiciables (les entreprises) du droit d’être jugés par elles alors que, selon la Cour, le système juridictionnel de l’Union européenne repose sur les juridictions nationales en coopération avec elle-même.

Nous attirons l’attention sur le fait que l’avis du Service juridique du Conseil a été demandé au sujet de la compatibilité du projet modifié avec l’avis de la Cour. L’accès du public au contenu intégral de cet avis a été interdit (document 15856/11 du 21 octobre 2011 du Conseil; refus de divulgation confirmé par le Conseil : voir doc. 5926/12 du 2 mars 2012 et réunion du 8 mars).

Si cet avis conclut que le projet modifié est conforme aux Traités, on n’aperçoit pas pour quelle raison son contenu n’est pas accessible au public.

Cette mise au secret renforce les doutes exposés ci-avant et émis par ailleurs (voy. aussi la note de la délégation luxembourgeoise du 11 juillet 2011, document 12704/11 du Conseil, point 1).

Sans nous prononcer sur le bien-fondé de ces doutes, nous estimons qu’ils sont raisonnables et doivent être levés.

Les discussions actuelles sur les sièges des différents organes de la future juridiction et sur les règles de procédure apparaissent prématurées et vaines si, comme ces doutes le font craindre, il est jugé plus tard que tout le système est illégal au motif cette juridiction aura été instituée en violation du Traité sur l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La sécurité juridique due aux justiciables (les entreprises en Europe) est ainsi gravement mise en cause. Qu’en sera-t-il des décisions qui auront été rendues dans ce système ?

De plus, sur le plan institutionnel et budgétaire, il est pour le moins inadéquat de signer déjà la convention en projet, d’effectuer des travaux d’adaptation d’autres textes (notamment la Convention de Munich, la Convention de Lugano, le règlement 44/2001), de solliciter les ratifications des États membres et d’engager des budgets importants pour mettre en place cette juridiction. Tout ce travail et ces dépenses importantes risquent d’être accomplis en vain.

Au contraire, dans l’intérêt légitime et démocratique de la sécurité juridique et des dépenses publiques, il nous apparaît essentiel de faire la lumière d’urgence sur cette question préalable de la légalité du système proposé dans son principe même d’une juridiction à caractère international et excluant la compétence des juridictions des États membres.

Si possible, un nouvel avis doit être demandé à la Cour de justice sur ce point fondamental.

L’examen de cette question ne retardera pas inutilement l’avancement du projet. Au contraire, celui-ci pourra avancer ensuite plus rapidement en étant doté d’une meilleure sécurité juridique.

De plus, le temps de cet examen pourra être mis à profit pour combler certaines lacunes déjà relevées dans le projet et pour mettre au point les très nombreuses règles de procédure qui devront être adoptées pour la juridiction nouvelle envisagée. L’industrie a d’ailleurs souvent fait savoir qu’elle veut connaître le système dans tous ses détails procéduraux et pratiques avant d’exprimer un avis définitif.

En outre, nous regrettons que le processus de discussion et d’adoption de ce projet si important pour les entreprises européennes ne se déroule pas dans la transparence. Ce n’est pas seulement l’avis précité qui a été mis au secret. Il en a été de même du document 18239/11 du 6 décembre 2011 contenant une proposition de compromis sur divers aspects importants du projet (refus de divulgation : document 6051/12 du 2 mars 2012, approuvé en réunion du Conseil le 8 mars).

Le débat public est d’autant plus nécessaire que le projet, en son dernier état connu, a également suscité des critiques nombreuses et diverses sur le fond, ses implications pratiques, la qualité des juges, son coût pour les entreprises, etc.

Les signataires de la présente motion invitent leurs collègues et leurs confrères de toute l’Europe à y adhérer.

Ont signé :

  • Bernard REMICHE, professeur à l’Université catholique de Louvain, avocat au Barreau de Bruxelles, (Belgique)
  • Fernand DE VISSCHER, avocat au Barreau de Bruxelles, maître de conférences invité à l’Université catholique de Louvain, (Belgique)

Et :

  • John J. ALLEN, avocat au Barreau d’Amsterdam (Pays-Bas)
  • Enrico BONADIO, chargé de cours à la City Law School, City University de Londres (Royaume-Uni),
  • Niklas BRUUN (Prof.), professeur à l‘Université de Helsinki (Finlande),
  • William CORNISH, professeur émérite de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni)
  • Vincenzo DI CATALDO, professeur à l’Université de Catania (Italie)
  • Richard EBBINK, avocat au Barreau d’Amsterdam (Pays-Bas)
  • Valeria FALCE (Prof.), Université européenne de Rome (Italie)
  • Mario FRANZOSI, avocat au Barreau de Milan, Visiting Professor à l’Université de Washington, ancien professeur aux Universités de Parme et de Milan (Italie)
  • Gustavo GHIDINI, professeur à Université de Milan et à l’Université Luiss Guido Carli (Rome), avocat à Rome (Italie)
  • Charles GIELEN (Prof. Dr.), avocat au Barreau d’Amsterdam, professeur à l’Université de Groningen (Pays-Bas)
  • Jean-Louis GOUTAL (Prof.), professeur émérite de la Faculté de droit de Grenoble, directeur honoraire du CUERPI (France)
  • Ruprecht HERMANS, avocat au Barreau d’Amsterdam (Pays-Bas)
  • Mindaugas KISKIS (Prof. Dr.), Mykolas Romeris University / INVENT Institute (Lithuania)
  • Matthias LAMPING, Max-Planck-Institut für Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, Munich (Allemagne)
  • Jacques LARRIEU (Prof.), professeur à l’Université de Toulouse (France)
  • Jochen PAGENBERG (Dr.), avocat à Munich (Allemagne)
  • Antoon QUAEDVLIEG (Prof.), professeur à l’Univercité Radbout à Nijmegen (Pays-Bas)
  • Andreas RAHMATIAN (Dr.), chargé de cours à l’Université de Glasgow (Royaume-Uni)
  • Ingrid SCHNEIDER (Prof. Dr.), Université de Hamburg, Lecturer Political Science and Senior Researcher at the Research Centre on Biotechnology, Society, and the Environment (BIOGUM) at the University of Hamburg (Allemagne)
  • Andrea STAZI, aggregate professor of Comparative Law - European University of Rome (Italie)
  • Dariusz SZLEPER, avocat à la Cour (Paris), chargé d’enseignement du droit des brevets au CEIPI (Centre d’Études internationales de la Propriété Intellectuelle) (Strasbourg) (France)
  • Luca TREVISAN, avocat au Barreau de Milan (Italie)
  • Dirk VISSER (Prof. Dr.), professeur à l’Université de Leiden, avocat au Barreau d’Amsterdam (Pays-Bas)
  • Michel VIVANT (Prof.), professeur à l’École de Droit de Sciences Po (Paris) (France)
  • Alexander VON MÜHLENDAHL (Dr.), professeur invité, Queen Mary College, Université de Londres, et avocat à Munich (Allemagne)

Et ont exprimé leur adhésion :

  • Alejandro ANGULO, avocat à Barcelone (Espagne)
  • Christoph ANN (Prof. Dr.), professeur à l’Université technique de Munich (Allemagne)
  • Maciej BARCZEWSKI (Dr.), Université de Gdansk (Pologne)
  • Nicolas BINCTIN (Prof.), professeur à l’Université de Poitiers (France)
  • Jan BRINKHOF, professeur émérite de l’Université de Utrecht (Pays-Bas)
  • Laurence BRUNING-PETIT, à titre personnel, Office européen des brevets (OEB) (Allemagne)
  • Nicolas DECKER, ancien bâtonnier, avocat à la Cour (Luxembourg)
  • Victor-Vincent DEHIN, avocat à Liège (Belgique)
  • Josef DREXL (Prof. Dr.), Max-Planck-Institut für Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, à Munich (Allemagne)
  • Séverine DUSOLLIER, professeur aux Facultés Universitaires de Namur (Belgique)
  • Antonina Bakardjieva ENGELBREKT, professeur à l’Université de Stockholm (Suède)
  • Damian FLISAK (Dr.), avocat à Varsovie (Pologne)
  • Jean-Christophe GALLOUX, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), Président de l'IRPI (France)
  • Johanna GIBSON, Herchel Smith Professor of Intellectual Property Law, Queen Mary College, University of London (Royaume-Uni)
  • Inge GOVAERE, professor of European Law, Jean Monnet Chair in EU Legal Studies, Ghent University (Belgium)
  • Jorge GRAU, avocat à Barcelone (Espagne)
  • Christopher HEATH, à titre personnel, Office européen des brevets (OEB) (Allemagne)
  • Reto M. HILTY (Prof. Dr.), Direktor, Max-Planck-Institut für Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, à Munich (Allemagne)
  • Marie-Christine JANSSENS (Prof. Dr.), professeur à l'Université catholique de Louvain (Belgique)
  • Bartosz KRAKOWIAK, president of AIPPI Poland, Patent and Trademark Attorney, Warsaw (Poland)
  • Nari LEE, professeur associé, HANKEN School of Economics, Helsinki (Finlande)
  • Marianne LEVIN, professeur à l’Université de Stockholm (Suède)
  • Franck MACREZ, maître de conférences à l’Université de Strasbourg (Centre d’Études internationales de la Propriété Intellectuelle (CEIPI)) (France),
  • Hans-Wolfgang MICKLITZL, professeur, European University Institute (Italie)
  • Timo MINSSEN, professeur associé à l’Université de Copenhague (Danemark)
  • Vytautas MIZARAS (Prof.), Université de Vilnius, avocat (Lithuanie)
  • Jan Bernd NORDEMANN (Prof. Dr.), avocat à Berlin (Allemagne)
  • Rainer OESCH (Prof.), Université de Helsinki (Finlande)
  • Ansgar OHLY (Prof. Dr.), Université de Bayreuth (Allemagne)
  • Anselm Kamperman SANDERS (Prof.), professeur à l’Université de Maastricht (Pays-Bas)
  • Frank SAUNIER, avocat à Lyon (France)
  • Jens SCHOVSBO (Prof. Dr.), Université de Copenhague (Danemark)
  • Tine SOMMER, professeur à l’Université de Aarhus (Danemark)
  • Olaf SOSNITZA, Université de Würzburg (Allemagne)
  • Hans ULLRICH (Prof. Dr.), professeur invité au Collège d’Europe (Allemagne)
  • Paul VAN DONGEN, avocat au Barreau d’Amsterdam (Pays-Bas)
  • Geertrui VAN OVERWALLE (Prof. Dr.), professeur à la Katholieke Universiteit Leuven (Belgique) et à l’Université de Tilburg (Pays-Bas)

Liste arrêtée au 5 septembre 2012 à 17h.

Les adhésions sont à adresser à : bernard.remiche@uclouvain.be ou fernand.devisscher@uclouvain.be

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