Brevet Unitaire : lettre ouverte d'Eva Lichtenberger à ses collègues eurodéputés

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Eva Lichtenberger, une eurodéputée du groupe Vert/ALE, a envoyé le mardi 4 décembre 2012 une lettre ouverte à tous les membres du Parlement européen, les prévenant de la menace posée par le brevet unitaire et leur demandant de reporter le vote afin d'avoir un vrai débat et de s'assurer de la légalité du « paquet brevet ».

Voici le contenu de sa lettre (traduction par nos soins) :

Lettre ouverte à tous les membres du Parlement

Chers collègues,

le « paquet brevet européen »[1] doit être débattu et voté en première lecture en décembre malgré le fait que le Conseil européen ait modifié l'accord de première lecture négocié avec la Commission des affaires juridiques (JURI), et qu'aucune négociation ultérieure n'ai été tenue pour en débattre.

En dépit d'inquiétudes concernant la conformité du « paquet brevet » avec les Traités, la commission des affaires juridiques a refusé ma demande pour un avis écrit de la part du service juridique du Parlement européen. La Cour de justice de l'Union européenne est également en train d'examiner la légalité de la coopération renforcée pour le paquet brevet, avec une décision de l'Avocat général attendue le 11 décembre : le même jour que le vote. Il est fort probable que cet avis concluera que la procédure n'est pas conforme aux Traités.

Dans ce contexte, il semblerait approprié que le paquet brevet soit retiré de l'ordre du jour de la plénière de la semaine prochaine et reporté au moins jusqu'à ce que la légalité de la procédure ait été vérifiée. Toutefois, les rapporteurs de JURI préfèrent aller de l'avant, sans tenir compte des préoccupations pour l'État de droit.

Si le paquet brevet était adopté, l'UE devrait déléguer ses compétences et ses pouvoirs dans ce domaine à l'Office européen des brevet (OEB), une institution hors de l'UE. Le « compromis » imposé par le Conseil donne le pouvoir à l'OEB de délivrer des brevets unitaires sans aucun contrôle efficace par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui serait largement exclue de la juridiction du brevet de l'UE. Il n'y aurait plus de possibilité de faire appel des décisions de la nouvelle Cour unifiée du brevet devant la CJUE. La Cour unifiée du brevet pourrait seulement demander à la CJUE de répondre à des questions préliminaires, tout en laissant la décision [sur le droit des brevets] à la Cour unifiée du brevet. En outre, le Parlement européen pourrait abandonner ses droits et compétences à co-légiférer sur les modifications du régime des brevets, puisque le contenu du brevet unitaire ne serait désormais plus décidé dans le cadre juridique de l'UE, mais au sein d'un accord international entre les États membres.

Parmi les experts, il existe une forte présomption que le règlement ne soit pas conforme avec l'article 118 du TFUE, qui donne à l'UE la compétence de créer des droits de propriété intellectuelle, perdant ainsi toute base juridique correcte dans les Traités[2] .

Plutôt que de fixer des règles claires pour le marché intérieur, le paquet qui nous est présenté créerait un système complexe de règles qui seraient appliquées par la nouvelle cour des brevets. Ce système s'étendrait de manière incohérente à travers une myriade de régimes juridiques : droit de l'UE, droit national, et droit fondé sur des conventions sortant du cadre de l'UE. Cela pourrait conduire à une augmentation de la fragmentation au lieu d'une l'harmonisation, au détriment également des entreprises et des acteurs économiques.

De sérieux doutes sont également soulevés quant au droit matériel des brevets. Au sein de l'UE, il existe diverses restrictions nationales à l'application des brevets dans le domaine biotechnologique : telles que les brevets sur les séquences de gènes chez l'humain, les dispositions pour protéger les intérêts des fermiers, comme les exemptions pour les éleveurs, etc. Ces restrictions ont été suprimées du règlement et ne sont que partiellement reprises dans le projet d'accord. Ignorant ainsi la demande du Parlement européen de « garantir que l'UE continuera d'appliquer une exception complète pour les éleveurs dans son droit des brevets pour les plantes et les animaux, comme l'exprime la résolution du Parlement européen du 10 mai 2012 sur le brevetage des procédés essentiellement biologiques ».

Parallèlement à ces problèmes sérieux sur le fond d'un tel compromis potentiel, la manière dont il est proposé aux insitutions de l'UE soulèvent des questions tant pour les citoyens que pour les entreprises.

Le groupe des Verst/ALE déposera des amendements cherchant à définir sans équivoque un nouveau titre de brevet de l'UE conforme à sa base juridique (article 118 TFUE) et à garantir que la cour du brevet sera pleinement intégrée dans le cadre juridictionnel et institutionnel de l'UE.

Le groupe des Verts/ALE déposera également des amendement pour exclure le brevetage des races et des souches végétales et animales utilisées dans l'agriculture et des règles dans la ligne des précédentes positions du Parlement définissant des limites aux brevets logiciels, afin de contribuer à obtenir une authentique application unifiée des brevets européens à effet unitaire.

Je vous remercie infiniment pour votre attention

Bien à vous,

Eva Lichtenberger

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[1] Le « paquet brevet » est composé : - d'un règlement sur le brevet européen à effet unitaire et d'un Accord sur une juridiction unifiée du brevet pour les litiges sur les contrefaçon et les révocations des brevet européens et unitaires.

[2] Ceci a été clairement exprimé par l'Institut Max Planck pour le droit de la propriété intellectuelle et de la concurrence : « Le premier paragraphe de l'article 118 TFUE autorise le Parlement européen et le Conseil a établir, selon la procédure législative ordinaire, les mesures relatives à la création de titres européens de propriété intellectuelle dans le cadre de l'établissement ou du fonctionnement du marché intérieur. […] il obéit à l'objectif particulier de faire progresser l'intégration du marché intérieur, que le législateur de l'Union ne peut pas simplement déléguer à un accord international consensuel entre États membres. Une telle délégation aurait pour effet de miner à la fois les règles institutionnelles […] et l'autonomie politique de l'Union. ».

Cette actualité a été publiée sur le site de l'April.