Brevets en Europe : le bourbier de Barnier

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Le 10 mars 2011, la Commission et le Conseil de l'Union européenne se réjouissaient par communiqué de presse de la décision adoptée le matin même par le Conseil d'autoriser « une coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection unitaire par brevet ». Mais ces belles affirmations ont volé en éclats dès la conférence de presse qui a suivi : les questions d'une paire de journalistes à propos d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne sur le même sujet ont pour le moins embarrassé le commissaire Barnier. Le décryptage de cette réunion du Conseil nous donne l'occasion d'expliciter ce dossier complexe mais essentiel pour la lutte contre les brevets logiciels dans laquelle l'April est engagée.

Cet article a initialement été publié sur le site web de l'April .

Une fin de conférence de presse troublante

Il est presque 14h, ce jeudi 10 mars 2011, lorsque Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services, conclut la conférence de presse ayant suivi une réunion du Conseil de l’Union européenne. Alors que la conférence avait débuté par l’annonce triomphante d’une « journée historique pour l’innovation », le commissaire semble troublé, hésitant et pressé de clore une conférence de presse qui n’aura duré en tout et pour tout qu’une vingtaine de minutes, avec seulement deux journalistes pour interroger le représentant de la Commission et celui de la présidence hongroise. Voyons cela1

Suite à une question d’un journaliste hongrois, lui demandant — en français ! — :

[Est-ce qu’] il y aura une solution qui est acceptable pour tous les pays membres et la Cour aussi ? Merci bien.

Michel Barnier répond :

Heu, oui, moi je suis confiant et en tous cas, déterminé pour, heu, rechercher et travailler à une solution qui est dans l’intérêt de tout le monde, heu, pour trouver, après l’examen, encore une fois très rigoureux et très minutieux que nous allons faire de l’avis de la Cour, heu, la meilleure solution possible, heu, pour tous les recours, qu’il s’agisse de recours émanant de l’Union européenne, ou, heu, d’autres, heu, pays européens. Donc nous allons travailler, heu, à cette solution, de telle sorte que, heu, on trouve un cadre stable, heu, à un coût raisonnable et avec une sécurité juridique totale. Je, je, sur le fond du brevet lui-même, heu, sur la question qui a été tranchée ce matin, de manière extrêmement claire, par le Conseil, heu, je, je veux dire encore une fois que la proposition qui a été acceptée par 25 pays est, de mon point de vue, juridiquement solide, heu, économiquement indispensable pour les entreprises et, politiquement, je pense sincèrement qu’elle est acceptable, heu, avec peut-être un peu plus de temps, heu, acceptable par tous les pays membres de l’Union.

On nous permettra un jeu de mots facile en constatant que le Français semble pour le moins marcher sur des œufs ! On retiendra de cette intervention qu’il reste à la Commission à travailler pour trouver une solution. C’est donc qu’il y a un problème. Dès lors, on peut douter que la fameuse proposition acceptée par 25 pays soit si « historique ». Certes, le commissaire a beau rappeler que cette proposition est « juridiquement solide, économiquement indispensable et politiquement acceptable », mais ayant utilisé cette expression — mot pour mot — pas moins de quatre fois dans la matinée — en fait, à chacune de ses interventions — il ne fait pas de doute qu’il ne s’agit là que d’éléments de langage, dûment préparés par quelque conseiller en communication — voire par le commissaire lui-même. Quoi qu’il en soit, il en faudra plus pour partager la confiance et la détermination que Michel Barnier prétend être siennes.

Un peu d’explications avant le spectacle

Pour commencer, il nous faudrait savoir quelle est donc cette décision prise par le Conseil de l’UE ce matin du 11 mars 2011.

La coopération renforcée

Elle est toute simple : les ministres des États membres de l’Union ont tout bonnement décidé de légiférer non pas à 27, mais à 25. C’est ce que l’on appelle une coopération renforcée. Cette procédure est prévue par les Traités de l’UE pour limiter les risques de blocage lorsqu’un consensus s’avère impossible à trouver parmi tous les pays membres. Ainsi, dans une procédure de codécision habituelle, une directive doit être votée par le Parlement européen d’une part et par une majorité — ou l’unanimité, selon le sujet — des ministres des 27 États membres, d’autre part. Dans le cadre d’une coopération renforcée, la directive doit toujours être votée par le Parlement, mais seuls les ministres des pays participant à la coopération auront à s’entendre sur le texte.

Bien, donc le Conseil a décidé de lancer une coopération renforcée. Mais à propos de quoi ?

Le brevet unitaire

La coopération renforcée en question a pour but de créer un brevet unitaire et de réglementer son régime linguistique. Tiens ? Mais que donc d’unitaire aurait un tel brevet alors qu’en Europe, il y a déjà l’Office centralisé de Munich qui délivre des brevets pour tout le continent ?

En fait, l’Office européen des brevets (OEB) de Munich a été créé en 1973 pour se charger de la phase précédent la délivrance d’un brevet. C’est-à-dire qu’il reçoit les demandes et les examine. En fonction de ces examens, si les critères de brevetabilité sont respectés, l’OEB octroie un brevet européen. Ensuite, ce brevet est éclaté en un faisceau de brevets nationaux valables dans chaque pays désigné. Cette procédure évite aux déposants de faire le tour des offices nationaux pour avoir un brevet couvrant plusieurs pays européens, avec les risques que cela comporte d’avoir des divergences d’opinion dans les examens.

Mais dès lors qu’un titulaire de brevet européen dispose en fait d’un faisceau de brevets nationaux, il doit régler périodiquement dans chaque pays des taxes de renouvellement pour que son titre continue à être valide, ceci pendant une durée allant jusqu’à 20 ans. Et surtout, si un éventuel concurrent met sur le marché un produit ou un procédé suspecté enfreindre le brevet en question, il faudra poursuivre le supposé contrefacteur devant les tribunaux de chaque pays.

On comprend ainsi que le brevet européen délivré par l’OEB n’a que peu de caractère unitaire et que l’on puisse souhaiter simplifier la procédure en ne s’adressant qu’à un seul office de brevets tout au long de la vie d’un brevet et en obtenant des jugements d’éventuels litiges qui soient directement applicables à tout le continent. Mais, pour mettre en place un tel brevet unitaire, pourquoi l’Union européenne ne légifère-t-elle pas comme d’habitude, mais a besoin de passer par une coopération renforcée ?

La tour de Babel

C’est que l’idée de disposer d’un brevet unitaire soumis à une juridiction unifiée est presqu’aussi ancienne que la naissance de l’OEB. Mais jusqu’ici les tentatives d’instaurer un tel système ont échoué. Le dernier projet en date a été formulé par la Commission européenne en 2007. Depuis cette date, le Conseil de l’UE a travaillé pour proposer un projet définissant une juridiction unifiée à même de s’occuper des litiges concernant l’actuel brevet européen délivré par l’OEB, ainsi que le futur brevet unitaire.

Cependant pour mettre en place un brevet unitaire, il faut décider en quelle langue ce brevet serait accepté. À l’OEB, les demandes de brevets peuvent être déposées en anglais, en allemand ou en français. Puis, lorsque le brevet européen est accordé et se divise en un faisceau de brevets nationaux, chacun des pays dans lequel un brevet national est enregistré demande que celui-ci soit traduit dans sa propre langue. Cependant, certains États ont adhéré au protocole de Londres qui permet aux brevets nationaux d’être valides dans un pays, sans besoin de traduction supplémentaire, à partir du moment où celui-ci est rédigé dans l’une des trois langues officielles de l’OEB. L’accord de Londres est un accord facultatif pour les pays membres de la Convention sur le brevet européen (CBE) — l’accord international régissant l’OEB et définissant les conditions d’attribution d’un brevet européen délivré par l’office de Munich — et, à ce jour, 13 pays ont adhéré au protocole de Londres. Pour les autres, une traduction des brevets dans leur langue est toujours nécessaire.

De même, le Conseil de l’UE et la Commission européenne ont proposé en 2009 que le brevet unitaire soit déposé dans l’une des trois langues officielles de l’OEB, les ressortissants des États membres dont la langue officielle n’est ni l’anglais, ni l’allemand, ni le français, ayant la possibilité d’obtenir gratuitement une traduction dans l’une des ces trois langues, les coûts étant assumés par l’UE dans l’espoir d’être suffisamment réduits dès lors que des logiciels de traduction automatique auront prouvé une fiabilité suffisante.

Mais ce régime linguistique n’est pas du goût de tous les États membres. Principalement, l’Espagne et l’Italie — qui, par ailleurs, ne sont pas signataires du protocole de Londres — contestent que l’on puisse déposer un brevet unitaire en allemand ou en français alors que l’espagnol et l’italien, pourtant largement diffusés de par le monde, en seraient exclus. Ces deux gouvernements préféreraient à la rigueur que seul l’anglais soit disponible, mais ne voient pas pourquoi privilégier l’allemand et le français par rapport à leur propre langue.

Officiellement, les travaux du Conseil ont buté sur ce problème alors que le Traité oblige le Conseil à légiférer à l’unanimité à propos du régime linguistique du brevet unitaire. C’est pourquoi, en décembre 2010, 12 pays2 demandent à utiliser la procédure de coopération renforcée pour avancer sans être bloqués par l’exigence d’unanimité pour le régime linguistique qui s’avère inatteignable. Ils seront rejoints en février 2011 par 13 autres États membres3 ne laissant plus que l’Espagne et l’Italie en dehors d’une éventuelle coopération renforcée.

L’autorisation à toute vapeur de la coopération renforcée

Afin de légiférer selon la procédure de coopération renforcée, il est nécessaire que la Commission soumette cette proposition au Conseil, après autorisation du Parlement. À partir du moment, en novembre 2010, où le Conseil a constaté que l’unanimité concernant le régime linguistique du brevet unitaire serait quasiment impossible à atteindre et qu’il fallait donc en passer par la voie de la coopération renforcée, les choses sont allées très vite.

Les 12 premiers pays ont officiellement demandé à la Commission de leur soumettre une proposition en ce sens le 10 décembre 2010. La Commission a soumis cette proposition quatre jours plus tard, le 14 décembre 2010. Le 11 janvier 2011, Klaus-Heiner Lehne, le rapporteur conservateur allemand, président de la commission parlementaire aux affaires juridiques, déposait son rapport pour le Parlement autorisant cette coopération renforcée. Son rapport est voté sans grande discussion, avec une simple opposition de principe des groupes des Verts, des communistes et des souverainistes, le 14 février 2011 par le Parlement européen en session plénière.

Ainsi, le 10 mars 2011 devait être la dernière formalité pour lancer sur les chapeaux de roue cette coopération renforcée. Oui, mais…

L’achoppement de dernière minute

Mais, à l’avant-veille de la réunion du Conseil, patatras ! La route toute tracée du brevet unitaire bute sur un mur : la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) déclare que le projet de juridiction unifiée est contraire au droit européen et va jusqu’à remettre en cause la nature même de ce droit. Que s’est-il passé ? Pourquoi la CJUE vient donner son avis sur un projet politique que l’on tente de dessiner depuis des dizaines d’années ? Et que signifie exactement cet avis ?

En fait, si la question linguistique est la partie émergée de l’iceberg des désaccords entre États membres, c’est loin d’être la seule et principale divergence, pour qui a suivi les nombreuses réunions où le Conseil a travaillé sur le sujet depuis 2007. Ainsi, le projet de juridiction unifiée soulève critiques et inquiétudes de la part de pays questionnant la faisabilité du projet vis-à-vis de leur propre constitution et plus globalement des Traités de l’UE. Pourquoi ? Tout simplement parce que le projet envisage d’instaurer une juridiction d’exception.

Jusqu’ici, les litiges concernant les brevets sont traités devant les tribunaux habituels, dans la ou les langues officielles du pays concerné, par des juges remplissant les critères que chaque État exige de son autorité judiciaire. Le projet de juridiction unifiée chamboule ceci en prévoyant l’instauration d’un tribunal européen des brevets composé de différentes chambres nationales — dans les pays où les litiges sur les brevets sont nombreux — ou régionales — en regroupant des pays connaissant peu de contentieux sur les brevets — et d‘une cour centrale. Dans certains cas, les procès se dérouleraient dans une langue étrangère à une partie. Les juges seraient avant tout des experts des brevets, choisis en fonction de leur compétences juridiques ou techniques — i.e. les juges pourront ne pas être des magistrats, mais des ingénieurs.

Devant les doutes exprimés par plusieurs États membres qu’une telle construction soit possible suivant la constitution de chacun, le Conseil a décidé en 2009 de référer la question à la CJUE. Bien lui en a pris, puisque le 8 mars 2011, la CJUE a condamné le projet en protestant que si l’on mettait en œuvre une telle juridiction d’exception, cela ébranlerait tout l’édifice juridictionnel de l’Union européenne avec toutes les garanties démocratiques qu’il apporte. En clair : la CJUE a empêché la mise en place d’un monstre juridictionnel !

Décryptage du trouble de Michel Barnier

Parés de ces quelques explications, les propos troublés du commissaire Barnier à la fin de la conférence de presse deviennent intelligibles. Il faut en effet que la Commission travaille à une solution de juridiction unifiée répondant aux critiques de la CJUE. Car sans juridiction unifiée, le brevet unitaire n’aurait quasiment aucun intérêt. À quoi bon avoir un titre unique si lorsque l’on doit l’exercer contre d’éventuels contrefacteurs, il faut toujours le faire devant une multiplicité de tribunaux ? Le seul avantage restant pourrait être de réduire les coûts liés aux traductions, mais cela n’apporterait rien par rapport aux économies possibles selon le protocole de Londres.

Non, Michel Barnier le sait bien, il faut qu’il y ait une juridiction unifiée, sans quoi le brevet unitaire n’aurait d’autre avenir que les oubliettes de l’histoire — alors que le commissaire s’enorgueillissait d’être le commissaire qui enfin a réussi à conclure ce projet après les échecs de ses prédécesseurs : Mario Monti, Frits Bolkestein ou Charlie McCreevy. Seulement, l’avis de la CJUE est tel, que la Commission ne possède pas la moindre solution alternative au projet qui vient de se faire recaler. Aussi, ce jeudi 10 mars 2011, le commissaire français va être obligé de se livrer à l’exercice périlleux de devoir temporiser les questions relatives au système juridictionnel, tout en essayant de ne pas freiner l’élan de la mise en place du brevet unitaire.

Place au spectacle : la réunion du Conseil

Toute la réunion du Conseil ayant précédé cette conférence de presse s’inscrit dans ce même schéma. La Commission et les États membres participant à la coopération renforcée — i.e. tous les pays sauf l’Espagne et l’Italie — vont passer rapidement sur la question juridictionnelle en admettant qu’après l’avis de la CJUE, il faut travailler à trouver une solution. Laquelle ? Nul n’indiquera la moindre piste ! Et cependant, tous vont voter l’autorisation de lancer la coopération renforcée sur le brevet unitaire.

Il est non seulement amusant de voir comment les différents acteurs de cette réunion abordent ce numéro d’équilibriste, c’est également riche d’enseignements sur ce qui pourrait advenir dans les prochaines semaines concernant le brevet en Europe. Aussi, nous avons sélectionné dans l’ensemble des interventions, tout ce qui concerne le système juridictionnel et l’avis de la Cour européenne de justice. Sur une réunion ayant duré plus d’une heure et demi, cette question a occupé moins de 40 minutes. Nous commenterons ci-dessous chacune de ces interventions en essayant d’en donner les clés pour les décrypter. Nous avons modifié quelque peu l’ordre dans lequel elles sont présentées afin de ne pas nuire à l’intérêt narratif de notre décryptage.

Le reste des propos que nous n’avons pas sélectionnés peut se résumer simplement : « il faut que l’UE se dote d’un brevet unitaire, c’est important pour la compétitivité — certains ministres iront sans rire jusqu’à avancer que l’emploi s’en trouverait amélioré — tout le monde aurait aimé que cela se fasse unanimement, mais tant pis si l’Espagne et l’Italie s’arc-boutent, on fera sans eux, et donc il faut aujourd’hui voter pour avancer dans une coopération renforcée, sans oublier de remercier les présidences successives de l’UE qui ont conduit ces travaux au Conseil ». Ce résumé ne simplifie que très légèrement les déclarations émises lors de cette réunion, ainsi que peuvent le constater ceux qui le désirent dans la vidéo intégrale de la réunion du Conseil (1:36:42).

L’ouverture du bal

La Hongrie présidant l’Union européenne durant ce premier semestre 2011, le maître de cérémonie est donc le ministre hongrois. Déception : celui-ci ne parle absolument pas de la question juridictionnelle, ni de l’avis de la CJUE, si ce n’est pour indiquer que les membres du Conseil ont l’autorisation d’aborder ce point

Commission : Michel BARNIER, commissaire européen au marché intérieur et aux services

C’est donc Michel Barnier qui à l’honneur d’évoquer le sujet en premier :

J’aimerais également rappeler que, heu, nous ne sommes pas au bout de la route. Heu, il faut travailler, à partir du moment où la décision sera prise aujourd’hui de lancer cette coopération, sur la base de règlements que la Commission présentera dans très peu de jours, le 30 mars prochain, sur cette question, heu, du brevet. Et puis nous devrons parallèlement, comme vous l’avez vous-même dit, et ce sera l’objet d’un point séparé, puisque les sujets sont séparés, travailler très vite, heu, à la lumière de l’avis de la Cour de justice, sur la question de la juridiction, qui est indispensable et sur laquelle, ensemble, nous ferons des propositions parallèles. Encore une fois, ce sont des sujets différents et nous devrons avancer parallèlement sur ces sujets pour aboutir le plus vite possible à l’architecture complète, heu, sur la question.

Sa stratégie est telle que nous l’avons décryptée lors de la conclusion de la conférence de presse : le commissaire n’a aucune idée d’une solution pour établir une juridiction unifiée qui satisfasse les exigences rappelées par la CJUE. Il temporise donc en promettant de travailler pour résoudre cette question, sans donner aucune indication de ce qui pourrait constituer une solution. Et pour ne pas que cet obstacle majeur ne perturbe le long fleuve tranquille — ou plutôt le rapide torrent — menant à l’établissement du brevet unitaire, il s’échine à présenter les dossiers comme étant bien séparés : d’un côté les règlements sur le brevet unitaire et son régime linguistique, de l’autre le système juridictionnel. Pourtant, le français laisse échapper une contradiction : ces deux aspects font bien partie d’une seule et même architecture, sous-entendant que brevet unitaire et juridiction unifiée ne servent à rien l’un sans l’autre. Bref, les deux faces du projets suivraient des voies parallèles censées toutefois se rencontrer en un point. Au diable la rigueur mathématique !

Les torchons et les serviettes

Heureusement pour Michel Barnier, de nombreux ministres vont soutenir la différenciation entre brevet unitaire et juridiction unifiée. C’est bien là ce que le commissaire souhaite : que les États membres votent aujourd’hui la coopération renforcée sur le brevet unitaire en se représentant la question juridictionnelle comme quelque chose de bien distinct, que l’on pourra régler ultérieurement.

Allemagne : Peter HINTZE, Secrétaire d’État parlementaire auprès du ministre fédéral à l’économie et à la technologie

Quant à l’arrêt de la Cour de justice du 11 mars (sic !), il ne s’oppose pas à la décision d’aujourd’hui. Cet avis porte sur la juridiction et pas sur la procédure de délivrance de brevet. Ce sont là deux questions complètement différentes qui doivent être maintenues distinctes. Donc aujourd’hui nous devrions adopter la décision conformément à ce que vous nous proposez.

Si l’intervention du représentant allemand est explicite et ne suscite pas de décryptage supplémentaire, il n’est pas inutile de rappeler le rôle moteur de l’Allemagne dans ce dossier du brevet unitaire. Dans le paysage européen des brevets, l’Allemagne occupe sans aucun doute la première place : le siège de l’Office européen des brevets est établi à Munich, l’Allemagne est le premier pays européen de résidence tant pour les demandes de brevets que pour les brevets octroyés par l’OEB4, on estime5 que 50 à 70% de tous les contentieux sur les brevets en Europe sont portés devant des cours allemandes. Et l’analyse du projet de juridiction unifiée, que la CJUE vient de retoquer, était largement inspiré du système allemand, avec notamment une séparation des actions en contrefaçon et de celles en nullité. Bref, l’Allemagne est l’un des plus chauds partisans, sinon l’instigateur, du projet de brevet unitaire et l’on comprend que son représentant au Conseil ne s’attarde pas sur un avis risquant de remettre en cause l’édifice et préfère que le dossier avance coûte que coûte.

Belgique : Vincent VAN QUICKENBORNE, ministre fédéral de l’entreprise et la simplification

Alors la question que l’on doit se poser aujourd’hui est de savoir s’il y a encore des raisons de reporter la décision en matière de brevet européen. Moi je ne trouve pas un seul argument qui plaide en faveur d’un report. Justement parce que cette coopération renforcée servira à continuer la négociation. En d’autres termes : aujourd’hui, on ne décide pas du contenu du brevet européen. Le contenu fera l’objet d’une décision, ultérieurement, sur base d’une proposition de la Commission. Et tous les membres du Conseil pourront intervenir tout à fait librement. Et l’on tiendra compte dans ces condition aussi de l’avis de la Cour de justice sur la juridiction. Et justement, cet avis de la Cour est tout à fait dans le droit fil de ce que nous disait l’Avocat général. Donc cet avis n’a rien d’étonnant en tant que tel. Il faut simplement que l’on trouve une solution maintenant. Et la Commission nous a déclaré que l’on allait continuer de travailler de manière efficace et coordonnée. Quoi qu’il en soit, rien ne s’oppose à ce qu’aujourd’hui nous prenions une décision. Gardons les sujets distincts, mais justement aujourd’hui la dynamique va dans le sens de cette décision. Je conclurai en citant les paroles du groupe de musique Queen : « Don’t stop me or don’t stop us ». Ce doit être le maître mot, le slogan qui doit nous inspirer car c’est le seul moyen aujourd’hui de garantir la crédibilité de l’Union européenne en matière de brevets.

Évidemment le contenu de l’avis de la CJUE est la meilleure raison pour reporter la décision du Conseil. Sans juridiction unifiée, le brevet unitaire n’a aucun avenir, aussi les représentants au Conseil auraient très bien pu attendre qu’une nouvelle proposition sur l’aspect juridictionnel soit sur la table avant de s’engager. C’est d’ailleurs ce que l’April avait demandé aux députés européens en février 2011. Malheureusement sans succès, tant pis pour la crédibilité du Parlement : il aura donné son accord à un projet qui, comme l’en avait averti l’April, est remis en cause trois semaines plus tard.

Mais l’intervention du ministre belge, nous donne l’occasion de revenir sur l’avis des Avocats généraux de la CJUE. Ceux-ci ont pour rôle d’assister la Cour de justice européenne en présentant en toute indépendance leur avis sur les questions juridiques qui lui sont posées. Or, en août 2010, une fuite a permis de consulter l’avis donné par les Avocats généraux dans le dossier de la juridiction unifiée du brevet unitaire. Cet avis concluait à l’incompatibilité du projet avec les Traités pour quatre raisons. Il objectait premièrement que le tribunal envisagé ne permettait pas de contester les décisions administratives de l’OEB — i.e. l’octroi ou le rejet d’une demande de brevet, ainsi que l’invalidation ou la confirmation lors d’une opposition à un brevet délivré — devant un tribunal indépendant. Deuxièmement, le projet n’était pas suffisamment clair sur le respect du droit de l’Union par le tribunal des brevets. Troisièmement, le régime linguistique devant la division centrale du tribunal des brevets, n’étant envisagé qu’en anglais, allemand ou français, risquait de porter atteinte aux droits de la défense. Enfin, les remèdes possibles en cas de violation du droit de l’Union par le tribunal des brevets et en cas de non-respect de son obligation d’opérer un renvoi préjudiciel à la CJUE étaient jugés insuffisants. Cependant chacune de ces critiques aurait pu être corrigée en amendant le projet. Le tribunal des brevets aurait pu être compétent pour les recours sur les décisions administratives de l’OEB ou on aurait pu créer un tribunal administratif de l’UE en matière de brevets, autorisé à saisir la CJUE. L’accord envisagé aurait pu préciser l’ensemble des obligations relatives au respect du droit de l’UE. Le régime linguistique aurait pu être étendu devant la division centrale. Et les décisions du tribunal des brevets auraient pu faire l’objet de pourvoi en cassation devant la CJUE où cette dernière aurait pu exercer un pouvoir de réexamen.

Mais l’avis final de la CJUE est allé beaucoup plus loin que celui des Avocats généraux en interdisant clairement toute juridiction d’exception sur les brevets en dehors du système juridictionnel de l’Union. Cette fois, il n’existe pas d’autre correction que de revoir complètement l’architecture du projet afin d’intégrer la juridiction unifiée des brevets dans le système composés par les tribunaux nationaux et la CJUE. Cela semble avoir échapper à notre fan de Queen, qui, lorsque la Belgique présidait l’UE au second semestre 2010, n’avait d’ailleurs pas ménagé ses efforts pour aboutir à un accord unanime, avant de finalement lancer l’idée de coopération renforcée.

Irlande : Geraldine BYRNE NASON, représentante permanente

Nous nous félicitons du fait que la Cour ait émis un avis qui n’affecte pas directement notre décision d’aujourd’hui. C’est vrai, nous allons l’étudier. Mais à ce stade en tout cas, nous savons que la décision de la Cour répond à un certain nombre de points que nous avions déjà soulevés. Nous nous félicitons du fait que la Commission et nos collègues sont d’accord pour aller de l’avant. Merci.

Au crédit de la représentante irlandaise, il est vrai que lors des auditions des États membres, du Parlement et de la Commission devant la CJUE, en mai 2010, l’Irlande faisait partie de ceux pensant que le projet n’était pas conforme aux Traités de l’UE et avait notamment pointé que l’accord envisagé ébranlait l’autonomie et l’efficacité de l’ordre juridique de l’Union et des tribunaux nationaux. À ne pas oublier non plus — et c’est peut-être ce qui explique la volonté d’avancer tête baissée — que l’Irlande est un paradis fiscal pour les rentes issues des brevets.

Portugal : Fernando SERRASQUEIRO, secrétaire d’État au commerce, aux services et à la protection des consommateurs

Il faut aussi prendre une décision par rapport au système de résolution des litiges. Comme l’a dit monsieur Barnier, c’est fondamental, cela doit progresser en parallèle. Et donc nous espérons que dès que faire se peut nous aurons des propositions qui nous permettront de réaliser des progrès. Merci.

Il n’y a pas de commentaire particulier à faire sur cette intervention lapidaire. Sinon que si l’on considère que les projets d’établissement du brevet unitaire et de la juridiction unifiée sont bien parallèles — ce qui est mathématiquement faux, puisque cela impliquerait qu’ils ne se rencontrent jamais —, puisque la CJUE vient de marquer un coup d’arrêt au second, le premier devrait en toute logique marquer également une pause.

Lettonie : Juris PŪCE, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie

Il y a l’avis de la Cour. Nous sommes encore en train de l’analyser, de l’étudier. Mais je pense vraiment que la question de la juridiction peut être étudiée séparément. Je voudrais exprimer tous mes remerciements à la présidence pour l’approche constructive et la discussion que nous avons eues aujourd’hui. Nous sommes prêts à évoluer dans le sens de propositions et de solutions concrètes.

À part nous avoir donné l’occasion d’expliciter les projets d’avenir du brevet en Europe, il faut avouer que nous sommes bien en peine de trouver quelque chose de constructif dans la réunion que nous sommes en train de décrypter et dans laquelle les propositions et solutions concrètes ont brillé par leur absence.

Pays-Bas : Derk OLDENBURG, représentant permanent

Il est vrai que nous devons prendre en considération l’avis de la Cour après l’avoir étudié en détail. Mais cela ne nous empêchera pas de prendre une décision aujourd’hui. Au contraire, cela nous permettra de progresser par ailleurs sur la question des brevets et du régime linguistique.

Il n’y a pas à s’attarder sur cette dernière intervention néerlandaise abondant totalement dans le sens de la Commission.

Au boulot !

Passons plutôt aux pays qui, malgré leur accord pour lancer la coopération renforcée, préfèrent souligner que la copie sur la juridiction unifiée doit être revue.

Royaume-Uni : Baroness WILCOX, sous-secrétaire d’État parlementaire aux affaires, à l’innovation et aux talents

Un système bien évidemment de règlement des litiges est partie intégrale de ce système européen de brevets. Et je me félicite que la Cour de justice ait rendu son avis sur la juridiction du brevet européen. Nous allons l’analyser, en étudier toutes les implications et nous attendons de coopérer avec nos collègues, comme avec la Commission, pour que soient édictés les règlements nécessaires dans les meilleurs délais. Je vous remercie, monsieur le président.

La représentante britannique est la première à souligner clairement que la question juridictionnelle fait partie intégrante du système global de brevet unitaire. C’est un premier revers pour le message qu’aurait voulu faire passer la Commission. Cependant, en donnant finalement aujourd’hui son accord au lancement de la coopération renforcée, la baronne oublie quelque peu ses propres écrits lorsqu’elle avait envoyé une lettre à la Commission, pour lui demander le lancement de la procédure. En effet, alors que les pays ayant initié la coopération renforcée avaient écrit conjointement à la Commission, le Royaume-Uni s’était fendu d’une lettre séparée qui se terminait par une réserve sur sa participation à cette procédure si la Cour européenne de justice concluait à l’incompatibilité de la juridiction envisagée avec les Traités. Pour le moment, le Royaume-Uni ne quitte pas encore le navire. Nous verrons plus loin que sa réticence ancestrale à accorder plus de pouvoirs aux instances communautaires — et en l’occurrence à la CJUE — risque bien de remettre en cause l’accord britannique sur l’ensemble du projet de brevet unitaire.

Grèce : Anna DIAMANTOPOULOU, ministre de l’éducation

Et finalement, je voudrais terminer en parlant donc d’un système de procédures. Et je pense que c’est important que pour aboutir à ce brevet unique, nous ayons aussi mis sur pied un système, une procédure unique d’obtention de ce brevet. Et de notre côté, nous appuyons depuis le début un système communautaire clair. Et la décision de la Cour de justice va dans ce sens. Nous pensons dès lors que cette décision doit être dûment analysée afin de trouver les solutions conformément aux Traités. Et donc, là encore le rôle de la Commission est très important, puisque dans ce domaine encore, elle doit nous proposer des procédures et des solutions, ce qui sera le pas suivant à réaliser.

Ce que souligne ici la représentante grecque confirme notre analyse du jugement de la CJUE : la seule solution serait d’intégrer la juridiction unitaire au sein du système juridictionnel de l’UE — ce que la ministre grecque désigne par « un système communautaire clair ». La Commission sait donc ce qui lui reste à faire !

À noter également que, de même que l’Irlande, lors des auditions en mai 2010 devant la CJUE, la Grèce avait soutenu qu’il était contraire aux Traités de confier les litiges sur les brevets à un tribunal hors de l’UE. Dans cette même audition, la Grève avait également tiqué sur le fait que des experts techniques pourraient être juges du tribunal des brevets envisagés, sans avoir les compétences de magistrats requises par les traités pour siéger dans un tribunal de l’UE.

France : Éric BESSON, Ministre de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique

Pour finir, je voudrais dire que nous ne devons pas relâcher nos efforts. D’une part, la France souhaite que la Commission européenne présente rapidement les projets de règlements créant le brevet unitaire et précisant son régime linguistique. D’autre part, les travaux devront à l’évidence se poursuivre sur le régime juridictionnel. À cet égard, l’avis rendu par la Cour de justice de l’Union européenne apporte des éclaircissements très utiles. Mais il faudra bien évidemment que la Commission nous dise désormais comment il faut les intégrer dans nos réflexions.

La position de la France est quelque peu délicate. Tout d’abord sur le régime linguistique, la France se fait toute petite, trop heureuse qu’on envisage de conserver le français comme langue officielle du brevet unitaire. Ensuite sur la juridicition, depuis le début des négociations, la France avait appuyé, sans succès, pour que la CJUE joue un rôle de cour suprême vis-à-vis du tribunal des brevets. L’avenir pourrait finalement lui donner raison… Aussi, c’est fort diplomatiquement que le ministre français se contente de rappeler à la Commission qu’elle doit remettre l’ouvrage sur le métier.

Slovénie : Viljem PŠENIČNY, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie

Et en ce qui concerne l’avis de la Cour, tout ce que je puis vous dire c’est qu’en Slovénie, nous sommes toujours en train d’étudier les textes, nous venons de les recevoir. Nous devrons trouver des solutions à la lumière de cet avis également pour avoir de bonne réponses aux problèmes encore en suspens.

Si, selon ses propres propos, le représentant slovène a peu de choses à dire, il laisse néanmoins entendre que l’avis de la CJUE pourrait fournir un cadre de réponse, non seulement sur la question juridictionnelle, mais sur toutes les autres difficultés posées par le brevet unitaire. Et nous allons voir ci-dessous que le système de juridiction unifiée n’est pas le seul.

La cacophonie

République tchèque : Martin TLAPA, ministre député de l’industrie et du commerce

Donc nous devons discuter de ce brevet comme d’un paquet : le régime linguistique, le système de résolution des litiges et aussi l’adoption en tant que paquet. Et ce ne sera pas un débat facile. Nous devrons trouver des options supplémentaires, nous devrons aussi penser aux engagements vis-à-vis de la traduction automatique et garder à l’esprit les discussions qui ont motivé l’avis de la Cour. On peut toujours décider d’une coopération renforcée mais le système de litiges doit permettre de couvrir tous les litiges, y compris ceux du brevet européen. Et je voudrais, une fois encore, remercier votre présidence de nous avoir présenté cette proposition, d’avoir soumis cette question à l’ordre du jour, car je pense que nous avons fait un premier pas. Un premier pas qui va permettre de réduire les coûts auxquels sont confrontés nos entreprises. Et donc l’Europe pourra ainsi être plus compétitive.

Voilà, les choses sont maintenant dites on ne peut plus clairement : tout est lié et l’on ne peut décider quoi que ce soit sur le brevet unitaire en faisant abstraction de la remise en cause que la CJUE vient d’opérer sur la juridiction envisagée. Malgré son vote favorable aujourd’hui, le représentant tchèque vient bel et bien de contredire la présentation édulcorée de la Commission.

Roumanie : Constantin Claudiu STAFIE, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, du commerce et de l’environnement des affaires

Après la décision de la Cour de justice, nous estimons qu’il faut aussi avoir le point de vue du service juridique du Conseil quant aux répercussions de cette décision sur la procédure de coopération renforcée. Nous suivrons de très près les évolutions à venir dans ce domaine.

C’est ici un autre type d’inquiétude qui se fait jour : et si l’avis de la CJUE allait jusqu’à remettre en cause la procédure même de coopération renforcée sur le brevet unitaire ? On ne sait s’il s’agit d’une véritable crainte, à l’opposé de la confiance que le commissaire Barnier a maladroitement tenté d’afficher, ou si cette question n’est qu’un faire-valoir permettant au service juridique du Conseil de dissiper le moindre doute, ainsi que nous le verrons plus loin…

Slovaquie : Peter JAVORČÍK, représentant permanent

En ce qui concerne la décision de la Cour, la Slovaquie a exprimé sa réserve concernant la participation au mécanisme qui dépend des décisions de la Cour de justice. Étant donné que nous n’avons que très peu de temps depuis la décision de la Cour, nous n’avons pas bénéficié du temps suffisant pour en évaluer les tenants et les aboutissants. Donc nous avons une réserve quant à ce texte. Et nous accorderons beaucoup d’attention à l’évaluation telle que présentée par le service juridique du Conseil et de la Commission eu égard à la décision de la Cour. Mais ce qui serait aussi très important, c’est la proposition spécifique : savoir comment cette décision va s’articuler permettra d’améliorer le texte du projet d’accord ou encore amender la Convention sur le brevet européen. Ce doit être applicable aux pays de la coopération renforcée et ce ne sera pas possible de façon efficace sans un système conjoint de brevets et de résolution des litiges. Donc nous sommes prêts à trouver, chercher une solution avec les différents États membres, la présidence et la Commission. Des solutions qui soient solides et qui nous permettent de créer un système de brevet unique.

Outre que le représentant slovaque appuie d’une part le questionnement précédent de la Roumanie sur la faisabilité même de la procédure de coopération renforcée au regard de la décision de la CJUE — là aussi en sollicitant l’expertise du service juridique du Conseil —, que, d’autre part, il confirme l’interdépendance du brevet unitaire et du système de juridiction unifiée, il soulève ici un point important. Non seulement, l’élaboration d’une juridiction est à revoir totalement car la CJUE a rappelé l’exigence que celle-ci s’inscrive dans le cadre juridictionnel de l’Union, mais qu’en est-il également du droit matériel qui sera applicable au brevet unitaire ? On entend par droit matériel des brevets les critères, exigences et exceptions pour lesquelles une innovation peut se voir accorder un brevet et comment cet octroi s’effectue. Jusqu’ici, les travaux du Conseil et de la Commission proposent une solution de facilité : que l’Union européenne adhère à la Convention sur le brevet européen (CBE) et l’on profitera alors des règles déjà établie dans cette convention concernant le droit matériel des brevets.

Toutefois, cette solution n’est pas sans ambigüité. Elle implique que l’Union ne serait plus alors totalement maître de la législation en ce domaine, puisqu’elle ne pourrait pas s’éloigner des règles législatives de la CBE. Or celles-ci sont loin d’être parfaites. Notamment en ce qui concerne les brevets logiciels. Si l’OEB a pu octroyer des dizaines de milliers de brevets logiciels, c’est à cause de son interprétation hasardeuse de l’article 52 de la CBE qui précise que les programme d’ordinateur ne sont pas brevetable en tant que tels. L’OEB a profité de cette formulation pour en déduire qu’elle signifiait qu’il existerait des logiciels qui seraient techniques et d’autres non. Les premiers ne seraient pas des logiciels en tant que tels et seraient donc parfaitement brevetables. Bien entendu, dans la vraie vie, il n’existe pas deux types de logiciels. Mais cette dérive a le mérite de souligner que la rédaction de la CBE doit être clarifiée. C’est d’ailleurs ce qu’indiquait explicitement la Grande chambre de recours de l’OEB — la plus haute instance pseudo-judiciaire interne à l’Office — en refusant de se prononcer sur la brevetabilité du logiciel : « Lorsque l’élaboration juridique conduite par la jurisprudence atteint ses limites, il est temps pour le législateur de reprendre la main. ».

Or si l’UE adhère à la CBE, il n’est pas certain qu’elle puisse politiquement décider que les brevets logiciels étant nuisibles à l’économie du marché intérieur, ceux-ci devraient être clairement exclus du champ de la brevetabilité. Il faudrait certainement obtenir l’accord des pays adhérents à la CBE, lors d’une conférence diplomatique. Et certains de ces adhérents ne sont pas des États membres de l’UE : la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, la Turquie, l’Islande, la Croatie, la Norvège, la Macédoine, Saint-Marin, l’Albanie et la Serbie. La Cour européenne de justice venant de reprocher au projet de juridiction unifiée de dépriver les tribunaux nationaux et de l’Union de leurs prérogatives en matière de litiges liés aux brevets, il n’est pas absurde de considérer qu’un abandon similaire du pouvoir législatif encoure la même censure.

C’est bien là un des points cruciaux restant à résoudre pour le règlement sur le brevet unitaire.

Le clou du spectacle

Jusqu’ici les interventions émanaient d’États membres ayant souhaité participer à la procédure de coopération renforcée. Mais il reste à entendre ceux qui s’y sont opposés, i.e. l’Espagne et l’Italie. Commençons par cette dernière, afin de se garder le meilleur morceau pour la fin…

Italie : Stefano SAGLIA, secrétaire d’État au développement économique

Alors, par ailleurs, nous avons reçu l’avis de la Cour de justice sur la juridiction. Un avis, on ne peut plus clair, qui, pour nous, touche un élément crucial, vital du brevet européen. Parce que pour que ce brevet soit novateur et avantageux, il ne faut pas qu’il entraîne un coût supérieur à celui des traductions. Il ne faut pas qu’il contraigne les entreprises à déposer des recours devant 27 tribunaux. C’est la raison pour laquelle, l’arrêt de la Cour de justice devrait nous inciter à réfléchir à l’opportunité de la coopération renforcée. Il faut véritablement poursuivre la réflexion sur ce dossier, parce que, sinon, l’on met sur les rails un projet, sachant qu’il n’aura jamais de solution à terme et qu’il ne comportera aucun bénéfice pour l’Union européenne. Alors, l’avis de la Cour a soulevé je crois suffisamment de questions qui méritent attention et réflexion. Et il modifie de manière substantielle le scénario tel que la Commission l’avait dessiné et qui s’articulait autour de trois aspects fondamentaux : le fonctionnement du brevet européen, le régime linguistique du brevet européen et son système juridictionnel. Alors, donnons-nous une pause de réflexion. Arrêtons les chronos. Et avant d’adopter une décision relative à la coopération renforcée, donnons-nous le temps, justement pour évaluer comme elles le méritent les conséquences de cet avis de la Cour de justice. Pour l’Italie, comme pour l’Espagne, ce n’est pas que nous soyons contre la coopération renforcée uniquement en paroles, nous sommes tout à fait prêts à la contester devant la Cour de justice, ainsi que le veut la déclaration commune que nous avons signée en fin de vote en décembre.
Alors si je lis l’avis des services de la Cour de justice, il y a également le problème de la création d’un organe des règlements des litiges, actuellement appelé Tribunal européen des brevets. Et cette création ne serait pas compatibles aux dispositions du Traité. Alors c’est bel et bien de parler de marché unique, de concurrence, mais aujourd’hui, la décision, si elle était prise, tuerait la concurrence. Il ne serait plus possible pour une entreprise de saisir un seul tribunal. Donc je crois que c’est un élément et non pas des moindres qui devrait nous inciter à faire une petite pause de réflexion avant de nous précipiter. Je vous remercie.

Le représentant italien commence par mettre le doigt où cela fait mal : sur le porte-monnaie. En effet, la raison principale invoquée par les promoteurs d’un brevet unitaire est de réduire drastiquement le coût d’obtention d’un brevet en Europe. Or la principale variable d’ajustement permettant une telle réduction est bien le coût des litiges6. Ce n’est absolument pas le coût lié aux besoins de traduction, comme de nombreux pays ont tenté de le faire valoir. En effet, le régime linguistique envisagé n’apporte rien de nouveau par rapport au protocole de Londres que nous avons décrit plus haut. Or, si le brevet unitaire ne dispose pas de juridiction unifiée, il ne fait aucun doute qu’il n’aura qu’un maigre avantage par rapport au système actuel.

La proposition de l’Italie de faire une pause afin de réfléchir à un système juridictionnel propre à rendre le brevet unitaire avantageux est donc parfaitement fondée. Et pour corser le tout, c’est en termes à peine voilés que l’Italie menace de traîner la Commission devant la Cour européenne de justice si elle s’entête à poursuivre les travaux sur ce dossier dans le cadre d’une coopération renforcée. À trop vouloir se précipiter, la Commission et les États membres participants y auront gagné des années de procédure !

Espagne : Diego LÓPEZ GARRIDO, secrétaire d’État à l’Union européenne auprès du ministre des affaires étrangères et de la coopération

Mais les critiques les plus virulentes viendront de l’Espagne. Alors que nous avions dû ne présenter que des extraits des précédentes interventions pour ne garder que les propos relatifs à l’avis de la CJUE, nous pouvons à présent regarder et examiner l’intégralité de la longue diatribe espagnole, tellement la totalité des points qu’elle soulève est intéressante :

Merci monsieur le président. Vous vous souviendrez que la dernière fois que nous nous sommes réunis au conseil compétitivité, j’avais commencé mon intervention à cet égard en vous parlant de Vargas Llosa, qui venait de recevoir en Suède le prix Nobel de littérature : un écrivain de langue espagnole. Alors permettez-moi de faire référence aussi à un autre prix Nobel de littérature de langue espagnole : Gabriel García Márquez. Parce qu’après l’avis de la Cour de justice, on pourrait dire que nous assistons à ce que García Márquez appelait dans un roman « la chronique d’une mort annoncée ». Donc la chronique de la mort annoncée du brevet européen, dit « européen », qui se fonde sur un instrument non communautaire tel que l’office de Munich ; un brevet européen qui discrimine les Européens ; un brevet européen, ou dit « européen », qui n’est pas vraiment viable, parce qu’il lui manque une dimension juridique ; un brevet européen, oui, mais qui ne l’est pas, parce que finalement il s’agit d’une coopération renforcée qui discrimine les pays européens. Et cette mort annoncée, l’a été par l’Espagne, l’Italie et d’autres pays aussi au départ. Il y a un certain temps déjà. Parce que la coopération renforcée, c’est toujours le recours ultime et ce n’est pas le cas ici. La coopération renforcée n’est pas admissible dans le cas du régime linguistique des brevets car je pense qu’à cet égard, l’article 118 est extrêmement clair. Ici on ne protège pas par définition de façon uniforme tous les industriels dans le cadre de l’Union, or le 118 nous oblige à le faire. Cela va créer des distorsions sur le marché intérieur. Et donc cette coopération renforcée va à l’encontre même du marché intérieur. C’est discriminatoire contre l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux des citoyens européens. Cela crée sans aucun doute de l’insécurité juridique. C’est pourquoi nous vous annonçons que ce brevet n’est pas viable. Nous vous l’avions annoncé.

Si le secrétaire d’État espagnol choisi de débuter son intervention avec des références littéraires, ce n’est ni pour démontrer l’étendue de son bagage culturel, ni pour charmer le public de cette réunion risquant de s’effondrer d’ennui sous le poids d’un jargon juridique technique et d’un verbiage xyloglossique7. Non, c’est qu’il y a dans ces références la parfaite illustration de la raison première de l’opposition espagnole à une coopération renforcée sur le brevet unitaire : le régime linguistique vers lequel Commission et Conseil se dirigent. On peut donc admirer avec quelle subtilité Diego López Garrido démontre l’importance de la langue espagnole et de son rayonnement mondial. Son choix d’une métaphore funeste ne dépareille pas avec les titres des articles commentant la décision de la CJUE : l’April a parlé d’enterrement, d’autres de torpillage, de déraillage ou de brevet tué ou coulé, ou enfin mort et enterré. Bref — si à ce point du décryptage de la réunion, on pouvait encore en douter —, malgré le discours du commissaire Barnier essayant d’être rassurant, la décision de la CJUE a bel et bien créé un séisme pour l’avenir du brevet européen.

Revenons-en à l’intervention espagnole qui termine cette première salve en appuyant sur les motifs de son opposition au régime linguistique : il serait discriminatoire. L’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne est invoqué en ce qu’il interdit toute discrimination fondée notamment sur la langue. Et il est également fait référence au second alinéa de l’article 118 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui est la base juridique invoquée par la Commission afin de légiférer sur le brevet unitaire sous l’égide d’une coopération renforcée. Or cet alinéa prévoit initialement que le régime linguistique d’un tel brevet doit être voté à l’unanimité des membres du Conseil. On a clairement quitté ici le domaine littéraire pour entrer dans le monde juridique. Nous verrons à la toute fin de cette intervention en quoi il était nécessaire d’invoquer ces arguments juridiques.

Mais aujourd’hui, la Cour de justice a annoncé, certifié, la mort de cette prétention, de cette volonté de création d’un brevet discriminatoire. Monsieur Barnier, vous n’en avez pas parlé, de cet avis de la Cour, qui contredit clairement l’avis de la Commission et l’avis de certains des pays et gouvernements qui ont pris la parole avant moi. Comme le disait notre ami Vincent, certains pays sont très satisfaits de cet avis. Mais en vérité, les commentaires qui ont été présentés à la Cour de justice disaient le contraire. La position de la Commission, la position des États membres qui se sont exprimés avant moi, étaient contraires à ce qui est dit dans l’avis. Et c’est assez étrange, je suis donc perplexe en voyant comment tous ceux qui étaient opposés à cette possibilité établie par la Cour de justice et tous ceux qui étaient favorables à un système juridique extra-muros, et bien finalement la Cour ne leur a pas donné raison et aujourd’hui ils sont satisfaits ! C’est surprenant, c’est paradoxal ! Mais, en vérité, la Commission européenne a exprimé son opposition à ce qu’a dit la Cour.

Foin de diplomatie feutrée, le secrétaire d’État espagnol souligne l’hypocrisie de la Commission et des États membres qui ont jusqu’ici salué la décision de la CJUE tout en déclarant qu’il ne fallait pas mélanger les torchons et les serviettes et continuer à foncer têtes baissées en lançant la procédure de coopération renforcée.

Elle appuyait, la Commission, cette formule juridictionnelle, une formule ad hoc, en dehors des circuits de l’Union européenne, ce qui a été détruit avant-hier par la Cour. Et c’est ce que l’on retrouve dans l’avis de la Cour. Et il faut bien en tirer les conséquences. Or, apparemment je n’ai rien entendu à cet égard. Cet avis donne raison à des pays tel que l’Espagne, l’Italie ou d’autres, il ne donne pas raison à la Commission et d’autres pays qui, eux, souhaitaient suivre cette voie en dehors des chemins de l’Union européenne et de la juridiction des États membres, donc de la juridiction nationale, suivant l’unification de la doctrine par le biais des procédures établies dans les Traités. Et donc, ce que nous a dit la Cour, c’est qu’il ne faut pas se lancer dans des aventures téméraires en dehors des Traités, en dehors du schéma établi dans l’Union européenne. Ça n’a pas de sens. Et il faut en revenir aux Traités, aux principes, au droit primaire, aux Traités de l’Union.

Ce que rappelle ici le secrétaire d’État espagnol est exactement tout ce dont a besoin la Commission afin de répondre à la censure de la CJUE sur le régime juridictionnel du brevet unitaire : ce dernier doit rester dans le giron de l’Union européenne. Or tous les instruments juridiques permettant ceci sont d’ores et déjà clairement définis dans le Traité de Lisbonne. Celui-ci permet en effet de créer au sein de la CJUE un tribunal spécialisé qui serait chargé des litiges sur les brevets, et qui aurait bien entendu à répondre du respect du droit de l’Union. La CJUE ne demande rien de plus dans son avis du 8 mars.

C’est pourquoi, avant même l’adoption de cet avis, nous vous avions demandé que vous nous répondiez à certaines questions que nous vous adressions. Surtout après l’avis de la Cour. Permettez-moi de faire référence à deux questions. Tout d’abord, il faudrait nous expliquer comment l’organisation internationale non communautaire, l’Office des brevets de Munich, peut octroyer un droit, un titre européen, communautaire ? S’il n’en est pas ainsi, est-ce que vous pouvez m’expliquer sur la base de quels accords, l’Office des brevets de Munich va pouvoir octroyer ces brevets ? Quels sont les accords prévus par la Commission ? Quel genre d’accords ? Quels sont les accords internationaux ? Quelle est la base juridique pour ceci ? Approuvé à l’unanimité ? Deuxièmement : l’aspect juridiction. Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Monsieur Barnier, vous ne nous avez rien dit à cet égard. Comment va-t-on remplacer, du côté de la Commission, le système que l’on vient de déclarer incompatible avec le Traité ? Est-ce qu’on va octroyer de nouvelles compétences à la Cour de justice en la matière, ce qui serait contraire à la position exprimée par le Royaume-Uni qui ne veut pas qu’une seule compétence soit octroyée aux compétences de l’Union, pas une seule nouvelle compétence ? Est-ce qu’on va examiner la nouvelle proposition au niveau d’un groupe d’experts ? Ou bien est-ce qu’on va suivre la voie de l’improvisation que nous avons suivie jusque là dans ce dossier ? Nous souhaiterions avoir des réponses.

Nous venons de répondre à la seconde question de Diego López Garrido : la seule solution possible aux problèmes soulevés dans l’avis de la CJUE est que cette dernière chapeaute la juridiction européenne des brevets. Mais il est vrai que ce n’est pas sans poser de problèmes. Mais il s’agit avant tout de problèmes politiques — i.e. dépendant de ce que chacun des États membres est prêt à accepter — et non juridiques ou démocratiques. Et il n’y a pas que certains États membres — le Royaume-Uni en première ligne selon le représentant espagnol — qui voient d’un mauvais œil l’implication entière de la CJUE dans les litiges liés aux brevets. Rappelons-nous que l’objectif premier des partisans de la juridiction unifiée qui vient d’être déclarée non-conforme aux Traités était de créer une juridiction d’exception à même de valider sur le plan judiciaire les doctrines favorables au microcosme des brevets. Ainsi, les juristes spécialisés en brevets ont accueilli l’avis de la CJUE en poussant des cris d’orfraie. « La Cour européenne de justice dit aux futurs juges de la juridiction envisagée que s’ils travaillent pas sous sa stricte supervision, comme les tribunaux nationaux, l’ordre juridique de l’UE serait en danger, car les juges spécialisés des brevets pourraient mal interpréter les Traités de l’ UE ? Quelle confiance dans les qualités juridiques de ces futurs juges ! Au vu du fait que les juges du Tribunal des brevets seraient les plus expérimentés des juges en Europe, ce manque de confiance est vraiment désolant. De l’autre côté, les professionnels du brevet et même la Commission de l’UE verrait cette implication de la CJUE, qui n’a aucune expérience en matière de brevets, comme un point bloquant .»8 « De nombreux acteurs de l’industrie auraient besoin d’être beaucoup plus rassurés si la CJUE disposait de spécialistes avec une solide expérience des brevets avant de confier leurs litiges à cette Cour en dernier ressort. Mais, à l’exception de la CJUE, la seule chose sur laquelle nous sommes tous d’accord est que la CJUE ne devrait pas être la cour d’appel finale d’un système centralisé. »9 « Beaucoup verront dans cette décision une volonté de la Cour de justice d’être l’organe supervisant tout système de litiges sur les brevets qui se concrétiserait en Europe. C’est la seule question sur laquelle la Commission, l’industrie et les juristes s’accordaient à trouver indésirable dès les premiers stades de l’élaboration des propositions. Tout ça parce que, selon cette opinion, la Cour de justice n’a pas suffisamment d’expertise dans ce domaine du droit. […] L’enthousiasme est limité dans l’industrie et au sein des professionnels du brevet pour un système centré sur la Cour de justice. »10 Pardon pour cet étalage de déclarations disant peu ou prou la même chose, mais il montre à quel point le microcosme des brevets est hostile à l’idée que la CJUE supervise le système juridictionnel des brevets. Et, sans trop exagérer, cette position se résume ainsi : non, non, non, laissez nous faire nos affaires dans notre coin, pas question qu’un vrai juge qui ne soit pas du sérail vienne y mettre son nez !

La première question du secrétaire d’État espagnol touche un point sensible que nous avons déjà abordé : quid du rôle de l’OEB dans l’octroi du futur brevet unitaire ? Si la CJUE s’est prononcée pour ne pas que le système juridictionnel du brevet unitaire ne sorte du cadre de l’Union, elle n’a rien dit — car on ne lui a pas (encore) demandé — ce qu’il en était de la délivrance des brevets unitaires par un organe externe à l’UE. Car le brevet unitaire serait un titre de droit de l’UE. Peut-on déléguer sa délivrance à une entité qui ne fait pas partie de l’UE ? Peut-on alternativement admettre que l’on transformerait en brevets unitaires les brevets habituellement délivré par l’OEB ? Les avocats généraux de la CJUE ont évoqué ces deux solutions, mais comme on l’a vu, en précisant que dans tous les cas, il faudrait prévoir que ces actes administratifs puissent être susceptibles de recours devant des tribunaux indépendants. Comme le souligne le représentant espagnol, la Commission devra répondre à ces questions primordiales.

Bon, l’improvisation, ça veut dire l’affaiblissement évidemment des positions, de la proposition, comme on le voit ici. Ce qui a été mis en avant lorsque certains États membres — dans des propositions de la Commission, cela a pu être lu — disent qu’on risque l’abandon à l’avenir. D’où la proposition de décision qui parle de la possibilité que certains États membres quittent cette coopération renforcée. On a parlé du Royaume-Uni déjà précédemment, alors moi j’aimerais que le Royaume-Uni nous explique s’il va quitter le système ? Oui ? Quand ? Comment ? Ce serait quand même un élément de sécurité de savoir quelles sont les intentions de pays comme le Royaume-Uni ou d’autres. Au moment du lancement de la coopération renforcée, si l’on sait que les rats vont quitter le navire dès le départ.

Certes Diego López Garrido n’est pas tendre avec la Commission, mais il faut avouer que l’improvisation a bel et bien semblé régner dans les discussions qui se sont tenues au Conseil depuis 2007, voire dans l’audition devant la CJUE, durant laquelle, même les États membres pensant que le projet de juridiction envisagée était parfaitement compatible avec les Traités de l’UE avançaient des arguments confus, allant jusqu’à se contredire les uns les autres. Nous avons déjà vu par ailleurs que le Royaume-Uni avait annoncé qu’il se retirerait de la coopération renforcée si la CJUE donnait un avis négatif. Mais il y a un point soulevé ici qui n’est pas inintéressant. Le rapporteur au Parlement européen, Klaus-Heiner Lehne, a fait voté une clause dans l’acceptation par le Parlement de la procédure de coopération renforcée : cette approbation était donnée sans préjuger des États membres participants. Le secrétaire d’État espagnol a probablement raison sur le fait que cette clause ait été ajoutée dans l’optique que le Royaume-Uni mette en pratique son annonce, entrainant certainement derrière lui d’autres pays.

Alors cette insécurité que nous connaissons aujourd’hui, elle était déjà très claire avant même de connaître l’avis de la Cour de justice. Et des pays tels que l’Espagne et l’Italie l’avaient fait remarquer. Mais alors c’est d’autant plus absurde aujourd’hui d’aller de l’avant, puisqu’on connaît la position de la Cour. Un système de brevet unique sans système institutionnel, c’est comme une voiture sans roues : ça ne va nulle part. Et la prétention et la volonté de dire « non, ça n’a rien à voir : une chose, c’est le régime linguistique, autre chose, c’est le régime de droit », dire que ça n’a rien a voir, ce n’est pas vrai ! Il est impossible d’avancer si l’on n’a pas le système adéquat. Or, ce que l’on avait sur la table a été détruit par la Cour de justice. Ainsi, nous devrions, je crois, éviter cette fuite en avant. Je demande au Conseil de mettre fin à cela. Car il y a beaucoup d’inconnues. Il nous faut réfléchir pour que, tous ensemble, nous puissions aller de l’avant, en ayant en mains tous les éléments nécessaires. Parce qu’une proposition de brevet unique qui n’a pas l’assentiment de tout le monde ne peut nous permettre de progresser, comme l’a dit la Cour. Surtout pour un sujet aussi important que celui du brevet ou encore du régime linguistique. Nous ne pouvons pas aller de l’avant comme cela. C’est pourquoi je vous propose de postposer cette décision, de la retravailler, de faire en sorte que le brevet européen communautaire renaisse renforcé et pas moribond après cet avis de la Cour.

Il y a peu à ajouter à ce paragraphe qui résume ce que nous avons décrit jusqu’ici  : un brevet unitaire sans juridiction unifiée est au mieux inutile. La CJUE venant de mettre à bas la juridiction envisagée, il serait plus avisé de tout remettre à plat, afin d’avancer sur des bases solides. Par conséquent lancer une coopération renforcée telle que l’autorise le vote du Conseil aujourd’hui n’est rien d’autre qu’une fuite en avant.

Il ne faut plus de doute. Car autrement, nous serons dans l’obligation, et nous l’avons annoncé déjà d’ailleurs, de recourir, de lancer un recours auprès de la Cour. Et avant-hier déjà, la Cour nous a montré que ses idées étaient très claires. Je vous remercie.

Comme son collègue italien, le représentant espagnol confirme ici son intention de déposer un recours devant la CJUE contre la procédure de coopération renforcée. Et l’on comprend ainsi mieux pourquoi, au tout début de cette longue intervention, des articles du Traité de Lisbonne ou de la Charte des droits fondamentaux avaient été invoqués. Ce sont là les bases juridiques sur lesquelles le recours peut s’appuyer. En clair, l’Espagne montre ici que ses menaces sont sérieuses.

Luxembourg : Jeannot KRECKÉ, ministre des affaires économiques et du commerce extérieur

Après cette diatribe espagnole lourde de questionnements et à la conclusion menaçante, un peu de détente ne ferait pas de mal ! Comme dans tout bon spectacle, l’entrée en scène d’un bouffon serait salvatrice. Aujourd’hui, c’est le représentant du Luxembourg, Jeannot Krecké, qui se dévoue pour endosser ce rôle :

Et maintenant, je comprends Diego quand il s’acharne sur les questions de la juridiction. Mais tout le monde ici autour de la table sait quand même que ce n’est pas de ça que l’on parle. Ce n’est pas ça l’objet. C’est le problème linguistique. Maintenant Diego, le petit pays qu’est le Luxembourg et bien d’autres autour de la table, on a déjà connu ça : être isolé dans des questions qui étaient parfois très stratégiques pour les pays. Soit au niveau financier, soit au niveau du fonctionnement. Mais ici, on est quand même dans une situation où l’Espagne et l’Italie ne vont pas souffrir outre mesure, sinon sur un principe, mais ne vont pas avoir un problème budgétaire, ne vont pas avoir un problème de fonctionnement si nous introduisons ce brevet. Alors, je fais un appel, Diego, à toi, ton gouvernement, celui de l’Italie, de réfléchir encore une fois. On est tout près. On veut avoir tout le monde à bord. On ne veut discriminer personne. Le Luxembourg était à la base de cette déclaration qui fait justement qu’aucune firme ne sera discriminée, ce qui pour moi est l’essentiel. Maintenant, se rajoute ce problème de la juridiction dans ce domaine. Je ne cache pas que le Luxembourg n’était pas de l’avis que le Conseil a exprimé quant à la mise en place de cette forme de juridiction. Nous n’étions pas de cet avis-là. Mais étant donné que tous, on était en train de marcher dans la même direction, on n’a pas dit qu’on allait s’opposer à cela. On veut, nous, que soit respecté le cadre institutionnel et juridictionnel de l’Union. Mais on ne voulait pas bloquer la démarche quand même commune qui s’était dessinée. Et c’est la même approche, Diego, que j’essaie de te demander d’afficher également, toi, ton gouvernement, celui de l’Italie dans ce domaine. On n’a jamais été aussi proches. On trouvera, je l’espère, une solution au niveau juridictionnel. On a toujours essayé d’avoir une solution unique, globale. On n’a pas réussi. Là, sur deux points essentiels, on avance quand même. Alors essayons d’avancer justement sur ces petits pas. Et le dernier, ben il faudra essayer de trouver la solution également. Une solution globale n’a jamais été possible et ne sera probablement pas possible. Alors, cher président, je suis en faveur d’une démarche qui justement est basée sur les petits pas et un appel d’un petit pays aux grands pays que vous êtes. Vous n’allez quand même pas souffrir la mort. C’est pas la mort annoncée de n’importe quelle importance au niveau de votre pays si tous ici, ensemble, on avance vers quelque chose où toutes les entreprises sont d’accord pour le faire, où tout le monde en principe est d’accord de le faire, où il subsiste un problème de principe. Alors, encore une fois, essayez de comprendre les 25 autres pays et essayez de nous rejoindre. Merci.

Tout d’abord, le ministre luxembourgeois balaie d’un revers de la main les points on ne peut plus sérieux abordés par son collègue espagnol. Ceux-ci ne seraient que du vent, tout ce qui inquiète l’Espagne, ce serait uniquement le problème linguistique ! Or, nous avons vu combien les problèmes soulevés par Diego López Garrido étaient cruciaux pour l’avenir du projet. Mais l’exagération faisant partie de la panoplie du bouffon, on pardonnera à Jeannot Krecké ce raccourci et cette minimisation. Par contre, il est plus difficile de passer sur l’aveu que le Luxembourg a mis de côté son opposition au système juridictionnel envisagé, pour « marcher dans la même direction » que tout le monde. Tout d’abord parce qu’il s’agit d’un mensonge : lors des auditions en mai 2010 devant la CJUE, le Luxembourg — aux côtés de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande, de la Grèce, de la Lituanie et de Chypre — a contesté la conformité aux Traités de l’accord envisagé sur la juridiction des brevets. Mais surtout, parce que les points contestés — et finalement dénoncés par la CJUE — de la juridiction envisagée ne sont pas minimes. On parle de dénaturer l’ordre juridique de l’Union par la création d’une juridiction d’exception. Il ne s’agit pas de broutilles que l’on peut oublier pour continuer d’avancer avec le troupeau ! Il s’agit bel et bien « que soit respecté le cadre institutionnel et juridictionnel de l’Union ». Il convient à ce stade de rappeler que Jeannot Krecké est un habitué des entorses aux règlements. C’est sous sa présidence que le Conseil avait adopté, en mars 2005, une position commune légalisant les brevets logiciels. Ceci en violation du règlement intérieur du Conseil, malgré le manque manifeste d’une majorité qualifiée des États membres et en dépit de demandes de plusieurs pays de rouvrir les négociations. Dès lors, l’habit de bouffon n’est peut-être finalement pas celui qui sied le mieux à Jeannot Krecké. Heureusement que la fin de son intervention retrouve un style plus proche du burlesque en tentant de répondre aux références littéraires de Diego López Garrido.

La mise au point juridique

Après ce tour de table des représentants des différents États membres, c’est au service juridique du Conseil d’intervenir :

Service juridique du Conseil : Hubert LEGAL, Conseiller juridique auprès du Conseil européen et directeur général du service juridique du Conseil

Plusieurs délégations, plusieurs membres ont évoqué l’avis rendu le 8 mars par la Cour de justice dans la demande d’avis 1/09. Je ne vais évidemment pas l’aborder et le présenter dans le détail maintenant, simplement répondre aux questions qui m’ont été posée par certains membres sur la question de savoir si cet avis affecte la décision à prendre aujourd’hui relative à l’autorisation de la coopération renforcée, en particulier les questions posée par la Roumanie et la Slovaquie.
D’abord, l’accord sur la juridiction des brevets est en dehors du champ de la coopération renforcée, telle qu’elle a été demandée par les États participant, telle qu’elle a été proposée par la Commission et telle qu’elle a été approuvée par le Parlement européen. L’avis de la Cour dans l’affaire 1/09 ne contient aucun élément qui remette en cause cette séparation des aspects différents. Au contraire, le point 54 de l’avis11 indique que le projet d’accord et les projets de mesures législatives sont étroitement liés mais peuvent être abordés séparément. La Cour d’ailleurs se prononce sur le projet d’accord sans envisager les caractéristiques propres des règlements relatifs au brevet, les propositions de règlements relatifs au brevet.

D’un point de vue juridique, il est incontestable que l’accord sur la juridiction soit en dehors du champ de la coopération renforcée. Cependant, il est quelque peu exagé d’en voir une confirmation dans le point 54 de l’avis de la CJUE. Tout ce que dit la CJUE, c’est que les projets peuvent être abordés séparément afin de juger de la conformité de l’un avec les Traités. C’est autre chose que de les aborder séparément pour décider si une fois que l’un a été rejeté, on peut continuer sur les autres.

Deuxième point, il est indifférent, du point de vue du raisonnement de la Cour, que les règlements soient adoptés pour l’ensemble de l’Union ou dans le cadre d’une coopération renforcée. Dans les deux cas, le droit du brevet de l’Union européenne, du brevet communautaire, sera du droit de l’Union. Et donc le raisonnement de la Cour reste le même. Donc l’avis ne contient aucun élément qui suggère que la procédure de coopération renforcée présenterait des problèmes particuliers par rapport à une adoption des règlements comme actes s’appliquant dans l’ensemble de l’Union européenne.

Cette précision est extrêmement intéressante. En effet, après le cataclysme qu’a représenté l’avis de la CJUE pour le microcosme des brevets, l’un de ses membres suggérait que puisque la CJUE ne s’était prononcée que sur la faisabilité d’une juridiction pour un brevet couvrant toute l’Union, « il fallait examiner plus en détail si un brevet ne couvrant que 12, 15 ou 25 pays dans le cadre d’une coopération renforcée ne serait pas faisable en dehors de l’ordre juridique de l’UE ». Or, ce même juriste des brevets, président de l’association des avocats en brevets, écrivait dans la lettre d’information de janvier 2011 de l’Association internationale pour la promotion de la propriété intellectuelle (AIPPI), qu’une solution à un éventuel blocage pourrait être de ressusciter le projet EPLA (European Patent and Litigation Agreement, Accord sur le règlement des litiges en matière de brevet européen), qui était est une initiative originaire de l’OEB prévoyant une juridiction unifiée entre les pays signataires de la CBE. L’EPLA, conformément à l’hypothèse ci-dessus, resterait complètement en dehors de l’ordre juridique de l’UE. Mais la remise au point du service juridique du Conseil vient balayer cette option : que l’on soit dans le cadre de l’Union dans son ensemble ou dans celui d’une coopération renforcée, l’avis de la CJUE s’applique. Et celui-ci précise bien que les litiges en matière de brevet doivent relever des tribunaux de chaque État membre. Ces derniers ne peuvent abandonner cette compétence au profit d’une juridiction créée par un accord international. On peut par ailleurs souligner que lors d’une réunion de la commission du Parlement européen aux affaires juridiques le 21 mars 2011, ce point de vue du microcosme des brevets a été fidèlement repris par le président de cette commission parlementaire, Klaus-Heiner Lehne… Oui celui-là même qui avait mené tambour battant l’acceptation par le Parlement européen de la procédure de coopération renforcée. Or cet eurodéputé ne cache pas dans sa déclaration d’intérêts financiers qu’il exerce parallèlement à ses activités d’élu à Bruxelles, le métier d’avocat pour le cabinet Taylor Wessing à Dusseldorf — cabinet spécialisé dans les brevets !

Troisième remarque, au point 7312, l’avis de la Cour relève que les compétences qui devraient être exercées par la juridiction des brevets sont habituellement du ressort des juridictions nationales. Ce qui suggère que le brevet de l’Union pourrait être viable sur le plan juridique, le seul plan sur lequel la Cour se prononce, même si aucun système de juridiction n’était décidé. Bien sûr ceci n’implique pas du tout qu’une juridiction des brevets unifiée n’est pas possible ou n’est pas souhaitable, mais cela confirme l’idée de l’indépendance entre les questions qui relèvent de la coopération renforcée et celles de la juridiction des brevets dont traite l’avis de la Cour.

Sur un plan juridique, il ne fait pas de doute que les litiges concernant le brevet unitaire pourrait être défendus devant des tribunaux nationaux. Mais, comme le directeur du service juridique du Conseil en a bien conscience, ce ne serait pas vraiment une solution souhaitable sur un plan politique, retirant tout attrait économique au brevet unitaire.

En conclusion, je dirais que le projet d’accord sur la juridiction des brevets devra bien entendu être remanié à la suite de l’avis, mais que ceci n’impose aucun report, ni de la décision d’autoriser la coopération renforcée, ni de l’adoption, dans le cadre de cette coopération renforcée, des règlements sur le brevet et sur la traduction que l’avis n’affecte en aucune manière. Enfin, en outre, je dirais que l’avis, s’il exclue certaines options d’organisation du contentieux des brevets en autorise plusieurs autres. Et donc il ne réduit pas l’intérêt d’une adoption rapide dans le cadre de la coopération renforcée du règlement sur le brevet de l’Union européenne. Merci monsieur le président.

Il n’y a donc rien à redire juridiquement à la mise au point d’Hubert Legal. Cependant il est ô combien intéressant de voir que lorsque ce dernier s’exprime en toute indépendance, il se permet de faire valoir avec une élégance remarquable qu’une juridiction européenne unifiée sur le brevet pourrait prendre un tout autre visage que ce qui avait été façonné par le Conseil et la Commission, avant que la CJUE n’oblige à lancer des travaux de ravalement. En effet, en avril 2010, Hubert Legal intervenait dans une conférence organisée par le Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI), intitulée « Vers une Juridiction européenne des brevets ». L’ancien juge au Tribunal de première instance des Communautés européennes y exposait brillamment l’architecture du système juridictionnel de l’Union, avec la CJUE comme garante ultime du droit de l’UE, le Tribunal de l’Union et les chambres juridictionnelles qui lui sont adjointes. Il confirmait ensuite que toutes les bases juridiques existaient pour créer un tribunal spécialisé pour les brevets, qui serait en fait une chambre juridictionnelle du Tribunal de l’Union chargée de connaître en première instance les recours sur les litiges en matière de brevet. Enfin son discours soulignait, comme une prémonition quasi exacte de l’avis de la CJUE, combien au contraire l’architecture envisagée par la Commission et le Conseil soulevait des questions. Il faut lire et relire cette intervention, tant il y a dans la prose juridique délectable d’Hubert Legal tous les matériaux pour rebâtir une juridiction unifiée pour le brevet unitaire qui soit conforme à l’avis délivré par la CJUE.

Le rappel

Avant de clore la réunion, les principaux artistes — la Commission et les deux États membres s’opposant à la coopération forcée, l’Espagne et l’Italie — nous gratifient d’un dernier passage sur scène.

Commission : Michel BARNIER, commissaire européen au marché intérieur et aux services

Naturellement, les sujets sont différents, le service juridique du Conseil vient de le rappeler très précisément, il a même dit, je l’ai même dit, indépendants. Je parle des deux règlements que je vais vous présenter au nom de la Commission le 30 mars sur le régime linguistique et la création du titre. Heu, ce sont des sujets indépendants, heu, de la solution que nous allons construire sur la question juridictionnelle. Je vais naturellement, avec les services du Conseil, heu, tenir compte très précisément de l’avis de la Cour de justice sur la question juridictionnelle. Nous allons, heu, travailler sur la totalité de cet avis, parce qu’il est très intéressant ! Comme vous l’avez d’ailleurs dit, au nom du service juridique, et nous en tiendrons compte. Je ne parle pas seulement de l’avis des Avocats généraux, mais aussi de l’avis d’abord de la Cour, heu, elle-même. Nous en tiendrons compte précisément pour bâtir la proposition dans les prochaines semaines, parallèlement, qui sera présentée sur une juridiriction (sic !) commune dont nous avons besoin, heu, dont nous avons besoin pour rendre efficace l’architecture générale, heu, du brevet européen. Donc dans quelques semaines, heu, nous serons en mesure de présenter cette solution.

Il faut saluer ici la présence d’esprit de Michel Barnier, à moins que l’évocation de l’avis des avocats généraux ne soit qu’une improvisation inconsciente. En effet, en promettant de tenir compte de l’avis final de la CJUE, le commissaire ne fait que respecter les obligations que lui impose l’article 218-11 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « en cas d’avis négatif de la Cour, l’accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités ». Mais lorsqu’il évoque également l’avis des avocats généraux, qui n’a aucune valeur contraignante, on ne peut s’empêcher d’envisager que lorsque la Commission présentera un nouveau projet de juridiction unifiée, celui-ci réponde tout aussi bien aux points soulevés par les avocats généraux. Nous en avons déjà parlé, l’un de ces points essentiels était de permettre la contestation devant un tribunal indépendant des actes administratifs accomplis par l’OEB. Ainsi, comment ne pas voir dans cette dernière déclaration de Michel Barnier que celui-ci est prêt à ce que le système européen des brevets échappe enfin à la mainmise de Munich pour revenir sagement dans le giron de Bruxelles ? Avec un telle stratégie, le commissaire français risque fort de ne pas se faire d’amis au sein du microcosme des brevets, mais à coup sûr les citoyens et les entreprises européennes en sortiraient rassurés !

Espagne : Diego LÓPEZ GARRIDO, secrétaire d’État à l’Union européenne auprès du ministre des affaires étrangères et de la coopération

Deuxième point, le système juridictionnel. Les décisions de l’office européen des brevets ne peuvent pas faire l’objet de recours devant les tribunaux européens. Ça a été dit très clairement par la Cour de justice. La Cour de justice a dit que toute cette philosophie dans laquelle se fonde la proposition de la Commission, qui consiste à utiliser la Convention de Munich, les organes de la Convention de Munich, les langues de la Convention de Munich, tout cela ne relève pas du droit communautaire. Donc il faut revenir au Traité, il faut revenir à l’assise du Traité. Si on veut faire un brevet communautaire, il faut le communautariser ! Sinon, il faut faire un autre brevet, c’est autre chose. Mais si on fait un brevet communautaire, il faut qu’il soit communautarisé. Donc il est fallacieux de dire que c’est parfaitement possible d’ores et déjà d’approuver le régime linguistique parce que c’est une question qui n’a rien à voir avec le système de juridiction. Dans un laboratoire juridique, c’est possible. Mais dans la réalité politique et juridique, en définitive, on ne peut pas séparer les deux éléments. C’est impossible ! Le brevet unitaire comporte une partie juridique, une partie linguistique et une partie juridictionnelle. Il faut traiter les trois éléments ensemble. Et c’est pour ça qu’on n’avance pas. Parce qu’on ne traite pas les trois points.
Les questions que nous avons posées à la Commission, que moi j’ai posées à la Commission, en conséquence de l’avis d’avant-hier, n’ont pas reçu de réponse. La Commission n’y a pas répondu. Tout simplement ! La Commission n’a strictement aucune idée de ce que l’on va proposer sur le système de juridiction. Elle n’en a aucune idée ! Elle n’a pas la moindre idée ! C’est une fuite en avant ! À l’aveuglette ! Sans savoir où on va ! Et on n’a pas de parachute ! C’est cela qu’on est en train de proposer. Alors il est logique que certains pays s’en préoccupent. Parce qu’on ne sait pas de quoi va avoir l’air le prochain système juridictionnel. Et la Commission ne nous a pas répondu. Il n’y a pas de réponse à ces questions. Il n’y en a pas !
Lorsqu’on parle de l’automaticité : d’abord une traduction manuelle, ensuite une traduction automatique, ben y a pas eu d’accord. L’accord a été que dans tous les cas, au bout d’un certain délai, on passerait aux traductions automatiques, qui ne sont pas viables. Moi je peux vous citer des exemples. On dirait des blagues ! Ce que cela donnera si l’on google une traduction automatique. Alors vraiment, c’est quelque chose qui est complètement disparate. Ce qui veut dire que le système juridictionnel, il est étroitement lié aux questions linguistiques et aux questions de fond.
Alors, pour terminer, il y a le respect de l’État de droit. Le respect de l’État de droit parce que le droit primaire ne peut pas être dépassé par une majorité quelconque qu’il y aurait au Conseil. C’est une question qui relève de la Constitution. Il faut accepter la décision, l’arrêt de la Cour de justice qui détruit complètement la notion de ce brevet que l’on veut mettre en marche. Ça démolit complètement l’idée de ce brevet. Donc pour pouvoir approuver, pour pouvoir décider sur ce dossier, j’aimerais qu’on me réponde, qu’on réponde à ces questions. Et il ne me semble pas que l’on puisse avancer sur le régime linguistique si la Commission ne répond pas à ces questions. Ces questions sont tout à fait pertinentes. Surtout après l’arrêt de la Cour de justice.
Bon, je crois que le Conseil doit donner une crédibilité aux institutions européennes. On en a parlé de crédibilité. Il faut qu’elles soient crédibles, les institutions. Et ça n’est pas en avançant à l’aveuglette qu’on va arriver à cette crédibilité, sans savoir aucunement ce qui va se passer sur le plan juridictionnel, parce que c’est une dimension essentielle et inséparable du régime linguistique. Il me semble donc que ce que l’on va faire aujourd’hui, si Dieu ne nous vient pas en aide, si l’on approuve cette avancée entre guillemets vers une coopération renforcée, discriminatoire et sans avoir aucune idée de la façon dont va se présenter le régime juridictionnel, ça ne devrait pas se faire.
Alors, il est possible qu’à l’avenir, il y aura aussi un échec de propositions que des institutions tout à fait respectables ont faites. Alors, je crois qu’il faut quand même faire preuve de sens commun. Il faut reconsidérer cette décision et donner un délai de négociation pour aborder tous les aspects du brevet unitaire. Pas seulement un aspect, mais tous les aspects du brevet unitaire. Merci monsieur le président.

Il semblerait que notre ami Diego López Garrido ait également entendu de cette oreille le commissaire Barnier. Car pour tenir compte de l’avis de la CJUE et de celui des avocats généraux, la solution appuyée par le secrétaire d’État espagnol est en effet la seule envisageable : il faut que le brevet de l’Union s’inscrive sur tous les plans dans le cadre de l’Union. Hors de ce chemin, c’est toute la crédibilité des instances de l’UE qui s’envolerait.

Italie : Stefano SAGLIA, secrétaire d’État au développement économique

Merci. Étant donné que le commissaire a mentionné l’intervention que j’ai faite tout à l’heure, je voudrais répéter que notre requête ne consistait pas à mettre de côté le projet, mais à y réfléchir. Et la pause de réflexion devait commencer aujourd’hui. Maintenant, si ce n’est pas cela qui se produit, non seulement nous abondons entièrement dans le sens des observations de notre collègue Diego, mais surtout, nous pensons que, en ce qui nous concerne, il faut passer au recours devant la Cour de justice. Parce que nous pensons que les conditions ne sont pas réunies pour obtenir non pas une revendication, mais la mise au point d’un brevet européen qui ne va pas fonctionner, qui ne va pas être compétitif et qui ne créera pas de compétitivité pour les entreprises, parce qu’il sera privé de la base juridique qui permette de réduire les coûts pour les entreprises. D’où, je le répète, notre décision de présenter un recours contre cette coopération renforcée.

Et hors de ce chemin, l’Italie répète que la Commission risque d’accoucher d’un brevet unitaire incapable de satisfaire les objectifs pour lequel il y aurait eu des raisons de le créer. Et, qui plus est, de se retrouver sous le feu d’un recours devant la CJUE !

La conférence de presse

On comprend maintenant mieux les conditions dans lesquels le commissaire Barnier se présente à la conférence de presse qui suit la réunion du Conseil que nous venons d’examiner en détail. Six pays l’ont certes soutenu dans son numéro d’équilibriste essayant de minimiser l’impact de l’avis de la CJUE sur le déroulement de la coopération renforcée. Mais quatre autres lui ont bien fait sentir qu’il était désormais temps de se remettre à sa table de travail, trois États membres l’ont ouvertement contredit et les deux pays ne participant pas à la coopération renforcée ont explicitement menacé d’attaquer celle-ci devant la Cour européenne de justice.

Commission : Michel BARNIER, commissaire européen au marché intérieur et aux services

Un mot, heu, pour répondre à vos questions, mais nous avons naturellement été attentifs à l’avis de la Cour de justice, heu, sur la question juridictionnelle liée au brevet. C’est un des éléments de l’architecture générale. Nous allons avancer aujourd’hui sur deux autres éléments, qui sont indépendants de cette question juridictionnelle, comme l’a dit Zoltán et comme l’a confirmé, heu, le service juridique du Conseil. Heu, nous allons avancer le 30 mars par deux propositions de règlements sur la création du titre et le régime linguistique. Heu, ce sont ces sujets qui ont fait l’objet d’une décision aujourd’hui, à travers la coopération renforcée. Et de manière indépendante, nous allons travailler, en nous éclairant, si je puis dire, de l’avis très intéressant de la Cour de justice sur la question juridictionnelle et en en tenant compte. Donc dans quelques semaines, heu, nous présenterons avec le Conseil une proposition de juridiction commune, en respectant naturellement, heu, l’avis de la Cour de justice.

Dès lors, avant que les journalistes ne posent leurs questions, on ne s’étonnera pas de l’appréhension qui transparaît dans cette introduction à la conférence de presse, lorsque le commissaire Barnier s’applique à ne pas s’éloigner d’un pas de la position officielle qu’il a tenue depuis le début de la réunion du Conseil.

Comme pour la réunion du Conseil, nous n’avons sélectionné dans cette conférence de presse que les passages évoquant l’aspect juridictionnel du brevet unitaire suivant l’avis cataclysmique de la CJUE. Nous ne verrons donc pas l’introduction de la présidence hongroise qui a précédé celle de la Commission, le sujet juridictionnel n’ayant à nouveau pas été abordé par le représentant de la Hongrie. La vidéo intégrale de la conférence de presse dure en tout et pour tout 22 minutes et 50 secondes.

Journaliste de l’agence télégraphique suisse

La première journaliste à intervenir, pour l’agence télégraphique suisse, appuie d’entrée de jeu sur les points qui fâchent : le possible recours de l’Espagne et de l’Italie et l’obligation de repenser de fond en comble le système juridictionnel du brevet unitaire. Avec comme inquiétude légitime, celle d’un pays signataire de la CBE mais n’appartenant pas à l’Union européenne.

Deux questions pour le ministre, une question pour monsieur Barnier. Vous avez dit que l’on pouvait faire progresser cette proposition de la Commission, mais les ministres italiens et espagnols qu’ont-ils dit ? Vont-ils s’adresser à la Cour de justice ? L’ont-ils dit et répété aujourd’hui ? Vous avez dit à la fin, pour la suite sur tout ce qui est la juridiction, alors si je vous ai bien compris, alors à la fin mars, on aurait déjà deux propositions et puis pour la juridiction, on verra pour plus tard. Et puis, est-ce que là, la Commission va essayer de trouver une solution qui inclut tous les 38 pays possibles pour le brevet ? Merci.

Réponse de la présidence hongroise : Zoltán CSÉFALVAY, ministre d’État pour les affaires stratégiques de la Hongrie

Ce fut un débat ouvert, vous avez pu le suivre. La raison principale pour la coopération renforcée et pour le système juridictionnel, c’est qu’il s’agit de deux questions différentes, à traiter de la sorte. Donc d’une part, on a la coopération renforcée et son autorisation et, d’autre part, on a le système des litiges, le système juridictionnel. Bien sûr, d’une certaine façon, c’est lié. Mais, dans ce cas-là, nous devrions aussi prendre en considération l’avis exprimé par la Cour il y a deux jours. Et pour cela, il nous faut du temps pour un examen approfondi, ce qui se fera bien sûr avec les États membres qui vont eux-mêmes y réfléchir. Mais le plus important dans ce cas-là, c’est que l’on ait deux questions séparées au niveau du droit et que l’on puisse dès à présent lancer la coopération renforcée.

On notera avec intérêt qu’il s’agit de la première fois que la présidence hongroise s’exprime sur le système juridictionnel et l’avis de la CJUE. Mais les questions qui lui étaient posées ne portaient absolument pas sur ce sujet, mais sur l’opposition italienne et espagnole et la possibilité que ces deux pays conteste la procédure de coopération renforcée devant la Cour européenne de justice. La réponse du ministre hongrois n’ajoute absolument rien par rapport à tout ce que nous avons déjà vu. Mais, il est néanmoins remarquable qu’il ne veuille absolument pas confirmer l’épée de Damoclès tendue par l’Espagne et l’Italie au-dessus du crâne à peine naissant de la coopération renforcée.

Réponse de la Commission : Michel BARNIER, commissaire européen au marché intérieur et aux services

Ma réponse est oui, heu, nous allons travailler, heu, et nous avons déjà travaillé, heu, pour cette coopération renforcée, sur deux projets de règlements que je présenterai au nom du collège le 30 mars, donc très rapidement. Nous avons besoin, vous dites, heu, "après". Ça sera pas beaucoup de temps après, parce que nous voulons agir parallèlement, mais quelques semaines plus tard, après un travail très précis, très, heu, rigoureux, que nous voulons faire, les services juridiques de la Commission, du Conseil, y travailler ensemble pour bâtir cette proposition de juridiction commune en respectant scrupuleusement, heu, l’avis de la Cour. Voilà ce que je peux dire, franchement, je ne peux pas aller plus loin aujourd’hui. Nous avons besoin de travailler. Mais il faut lire l’avis de la Cour sur tous ses attendus et toutes les lignes, parce que je, je le trouve très intéressant, donc nous allons en tenir compte pour bâtir cette proposition, heu, dans les semaines qui viennent.

Au-delà de la même rhétorique embarrassée, cette conclusion du Commissaire Barnier nous permet d’aborder un dernier point au sujet du brevet unitaire et de sa juridiction unifiée : quid des pays tiers signataires de la CBE mais n’appartenant pas à l’UE ? La question reste ouverte, comme le montre cette analyse d’un avocat helvète, spécialiste de brevets : « Même si un grand nombre de professionnels des brevets la rejette, une solution possible pourrait être d’accroître l’influence de la CJUE dans le système judiciaire des brevets proposé. Cependant, cette solution n’est pas parfaite car elle retarderait certainement les délais de procédures et la question de savoir si les pays qui ne font pas partie de l’UE accepteraient de soumettre leurs contentieux à une juridiction soumise à la CJUE serait largement discutable. À cet égard, la possibilité d’atteindre un compromis reste ouverte. Par exemple, un système de litiges qui prendrait en considération les différentes approches des États membres de l’UE, ainsi que des autres États participant à la CBE. Une des questions clés qui s’ajouteraient peut être formulée ainsi : serait-il possible d’introduire un cadre judiciaire pour différentes procédures d’appels selon que le recours concernerait un arrêt émis par une chambre régionale d’un État membre ou non de l’UE ? On peut douter que l’UE et ses États membres accepteraient une telle séparation. »

Quelques perspectives d’avenir

Nous espérons que ce long décryptage aura permis d’avoir une vue aussi complète que possible des différentes questions que soulève le brevet unitaire. Il ne reste plus qu’à récapituler comment le commissaire Barnier pourrait se sortir de ce bourbier en essayant d’anticiper quelles seront les propositions que la Commission pourra présenter le 30 mars, quant au brevet unitaire lui-même, et ensuite, en ce qui concerne le système juridictionnel qui lui est indispensable.

Il semble d’ores et déjà acquis, car cela fait partie des considérants13 de la décision prise ce 10 mars 2011 par le Conseil, que le brevet unitaire sera délivré par l’Office européen des brevets (OEB). Toutefois, reste en suspens la question de savoir quel sera le droit matériel des brevets fixant les conditions d’octroi d’un brevet unitaire. Il est loin d’être sûr qu‘une adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne sur le brevet (CBE) soit possible dans le cadre d’une coopération renforcée. Une solution envisageable serait que ce droit matériel des brevets soit défini dans une directive votée par le Parlement et le Conseil. Cette dernière pourrait reprendre largement les dispositions de la CBE. Mais quoi qu’il en soit, le règlement sur le brevet unitaire se devra de clarifier certains points de la CBE donnant lieu à des interprétations ambigües. On pense bien évidemment aux articles excluant en principe les logiciels du champ de la brevetabilité. Il revient au législateur européen de définir la politique d’innovation de l’Union européenne. Ainsi, inscrire dans le droit de l’Union l’interdiction claire de la brevetabilité des logiciels permettrait à ce que l’innovation dans le secteur informatique ne soit pas freinée par des brevets sur les logiciels, dont l’inefficacité économique a déjà été longuement démontrée14. Mais au-delà, l’Union européenne se doit de ne pas abandonner toute possibilité d’intervention politique dans le domaine des brevets. On l’a vu en ce qui concerne le système juridictionnel, il existe une forte volonté du microcosme des brevets de justement gérer ce petit monde sans ingérence extérieure. Il importe ainsi que le règlement sur le brevet unitaire ne fige pas le droit des brevets aux règles et pratiques établies au sein de l’OEB, mais permette à tout moment que le législateur de l’Union dicte les impératifs d’une politique de l’innovation jugée définie démocratiquement comme efficace. Sans cela — et pour singer les éléments de langages ressassés par Michel Barnier tout au long de la journée —, le brevet unitaire serait juridiquement un abandon de compétence, politiquement un désaveu et économiquement un désastre.

Quant au système juridictionnel à même de remplacer celui que la CJUE vient de mettre à bas, nous avons déjà longuement détaillé qu’il n’y a pas d’autre solution que de créer ce dernier au sein du système juridictionnel de l’Union, c’est-à-dire avec une supervision en dernier ressort de la CJUE, seule à même de s’assurer du respect du droit de l’UE. Mais au sein de ce schéma, plusieurs alternatives sont ouvertes. Nous renverrons d’ailleurs à l’intervention que nous avons déjà mentionnée du directeur du service juridique du Conseil, Hubert Legal, dans une conférence en avril 2010. Y sont détaillé notamment comment un tel système a été mis en place pour traiter des litiges concernant le droit des marques et quelles sont les possibilités, difficultés et les options possibles pour instituer un régime similaire pour le droit des brevets. Quoi qu’il en soit, ce système juridictionnel devra permettre, comme l’ont souligné les avocats généraux de la CJUE, de contester les actes administratifs relatifs à l’octroi ou au refus d’un brevet devant un tribunal indépendant, au sens de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Bien entendu, à côté de cet avenir souhaitable, la Commission pourrait céder aux pressions du microcosme des brevets et ne proposer que des corrections cosmétiques à son projet de juridiction unifiée. Mais dès lors, l’avis de la CJUE ne serait pas respecté et nul doute que celle-ci ne manquerait pas d’être saisie afin de condamner de telles tentatives contraires au droit de l’Union. Le bourbier n’en serait alors que plus enlisant. Et l’on peut avoir confiance dans le fait que le souhait de Michel Barnier serait plutôt d’en sortir le plus rapidement possible.

  • 1. Les vidéos présentées ici sont issues du site de vidéos à la demande du Conseil de l’UE. Elles sont traduites en français par les services de traduction du Conseil. Ces traductions ne sont pas exemptes d’erreur et ne font bien entendu pas foi. Si cela nous empêche de faire le moindre commentaire sur la forme des propos traduits, le sens des prises de position originales est suffisamment préservé dans leur traduction pour que nous puissions sans problème en interpréter le fond. Bien entendu, les intervenants francophones — le commissaire, le ministre luxembourgeois et le directeur du service juridique — ne souffrent pas de ce biais.
  • 2. Le Danemark, l’Allemagne, l’Estonie, la France, la Lituanie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovénie, la Finlande, la Suède et le Royaume-Uni.
  • 3. La Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, l’Irlande, la Grèce, Chypre, la Lettonie, la Hongrie, Malte, l’Autriche, la Portugal, la Roumanie et la Slovaquie.
  • 4. Selon les statistiques publiées par l’OEB, 25107 demandes de brevets provenaient en 2009 de résidents allemands, contre 8929 de résidents français — pourtant 2e pays européen dans le nombre de demandes — et 11384 brevet sont été octroyés à des résidents allemands, contre 4031 à des résidents français — là encore, second pays européen. À noter par ailleurs, que le premier pays de résidence des demandeurs de brevets à l’OEB est les États-Unis, avec en 32966 demandes en 2009, alors que le nombre de brevets accordés en 2009 à des résidents des États-Unis est sensiblement le même que pour l’Allemagne : 11352. Et lorsque l’on considère que le Japon totalise 19933 demandes et 9439 brevets accordés en 2009, il n’est pas faux de conclure que l’Office européen des brevets profite principalement à des pays extra-européens — États-Unis et Japon — ainsi qu’à l’Allemagne. Le reste des pays européens n’ayant à se partager que les miettes du gâteau des brevets européens !
  • 5. « Economic Cost-Benefit Analysis of a Unified and Integrated European Patent Litigation System », étude pour la Commission européenne, Prof. Dietmar Harhoff, Ph.D., 26 février 2009.
  • 6. À ce sujet, Jochen Pagenberg, président de l’association des avocats en brevets, critiquait dans la lettre d’information de janvier 2011 de l’Association internationale pour la promotion de la propriété intellectuelle (AIPPI) l’argument de la Commission considérant que le système d’obtention d’un brevet en Europe était dix fois plus élevé qu’aux États-Unis, car cette remarque ne prenait en compte que les coûts de dépôt en oubliant ceux des litiges : « associer un système avec des taxes de dépôt plus abordables avec un système de mise en œuvre inabordable est un gchi en terme d’argent » (traduction par nos soins).
  • 7. Du grec xylon, bois et glossos, langue.
  • 8. Cf. http://www.ipeg.eu/?p=2394, traduction par nos soins.
  • 9. Cf. http://www.marks-clerk.com/uk/attorneys/news/newsitem.aspx?item=371, traduction par nos soins.
  • 10. Cf. http://patlit.blogspot.com/2011/03/upls-dead-and-buried.html.
  • 11. 54. Quant à la présente demande, il convient de faire remarquer que le projet de créer un système juridictionnel unifié en matière de brevets se trouvait à l’étude du Conseil au moment de la saisine de la Cour. La circonstance que le projet d’accord ou certains projets de mesures législatives étroitement liées à celui-ci, tels que la proposition de règlement sur le brevet communautaire, ne trouvent pas, pour l’heure, de soutien unanime au sein du Conseil ne saurait, pour sa part, affecter la recevabilité de la présente demande d’avis.
  • 12. 73. Il y a lieu d’ajouter que, conformément à l’article 14 bis du projet d’accord, la JB, dans l’exercice de ses fonctions, est chargée d’interpréter et d’appliquer le droit de l’Union. Il est attribué à cette juridiction l’essentiel des compétences matérielles, habituellement du ressort des juridictions nationales, de connaître de litiges relevant du domaine du brevet communautaire et d’assurer, dans ce domaine, la pleine application du droit de l’Union ainsi que la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent de ce droit.
  • 13. (7) L’objectif de la coopération renforcée devrait être la création d’un brevet unitaire, qui confère une protection uniforme sur le territoire de tous les États membres participants, qui serait délivré pour l’ensemble de ces États membres par l’Office européen des brevets.
  • 14. Voir, par exemple, à ce sujet les travaux de James Bessen.