Brevet unitaire et brevet logiciel : un cas pratique

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La guerre à laquelle se livrent Apple et Samsung nous donne l'occasion de montrer pourquoi le règlement sur le brevet unitaire devrait incorporer le droit matériel des brevets avec une exclusion des brevets logiciels.

Au mois d'août 2011, un tribunal néerlandais a jugé que certains smartphones Androïd violaient un brevet détenu par Apple et que par conséquent les smartphones Galaxy S, S II et Ace était interdits à la commercialisation sur le marché néerlandais1. Le brevet en question2 est un "pur" brevet logiciel, revendiquant un algorithme pour naviguer (scroll) dans une galerie d'aperçus (thumbnails) d'images, ainsi qu'un "produit programme" mettant en œuvre cet algorithme (i.e. que toute distribution du programme, même sans le faire tourner, est une contrefaçon ; c'est pour cette raison que Samsung peut être poursuivi).

En Europe, les logiciels sont exclus de la brevetabilité. Pourtant, l'Office européen des brevets (OEB) a délivré ce brevet.

L'argumentation de l'OEB pose que le logiciel doit « permettre à un utilisateur de naviguer dans une image et de passer d'une image à l'autre avec un minimum d'effort de l'utilisateur »3. Cela correspondrait à un "effet technique", qui lui permet de passer outre les exigences d'objet non-brevetable. En d'autres termes, un programme d'ordinateur, qui n'est pas brevetable selon la Convention sur le brevet européen (CBE), n'est plus un logiciel "en tant que tel" dès qu'il possède un effet technique, et il peut donc être breveté s'il est nouveau et inventif.

Pourtant, l'effet technique trouvé dans le brevet d'Apple n'est rien d'autre que du traitement de données en réaction à une action (input) d'un utilisateur. Pour reprendre les termes de Richard Stallman, « si c'est "technique, alors absolument n'importe quelle fonctionnalité logicielle est "technique" ».4 Par la délivrance d'un tel brevet, l'OEB va donc à l'encontre de la CBE et tente de réintroduire les brevets logiciels en Europe.

Si cette dérive est inquiétante, ce jugement n'affecte que les Pays-Bas et non les ventes sur les autres marchés européens. Cependant, avec le projet de brevet unitaire et de juridiction unifiée des brevets actuellement discuté au Parlement européen5, cela ne sera plus le cas : les smartphones en question seraient interdits sur l'ensemble du marché de l'Union (excepté en Espagne et en Italie qui n'ont pas voulu participer). On peut également noter que dans le même jugement, un autre brevet d'Apple a été invalidé et que cette invalidation s'appliquerait à toute l'Europe en cas de juridiction unifiée des brevets. Dans la mesure où l'OEB aurait le contrôle de la délivrance des brevets, ce serait lui donner un blanc-seing pour changer l'étendue de la brevetabilité.

C'est pour cela que l'April se mobilise contre le projet actuel de brevet unitaire : si l'idée d'une unification des cours de justice n'est pas problématique en elle-même, sa mise en place par un projet tel que porté actuellement par la Commission Européenne serait problématique. C'est pourquoi l'April a proposé sur http://www.unitary-patent.eu des amendements pour qu'un éventuel brevet unitaire permettre de respecter pleinement le droit européen. Par exemple, l'amendement n° 6 dans ceux que nous proposons permettrait d'invalider ce brevet. Si cet amendement passait, les dispositions qu'il introduit feraient partie du droit de l'Union et la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) aurait la compétence de renverser le jugement néerlandais.

Mobilisons-nous contre les brevets logiciels en Europe, refusons le projet de brevet unitaire : contactez vos députés européens !

Cet article a initialement été publié sur le site web de l'April .