Dix questions écrites à la Commission et au Conseil

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Nous avons pointé de sérieux défauts dans la proposition initiale de la Commission pour un règlement sur le brevet unitaire, qui sont toujours présents dans l'accord trouvé entre le Conseil et les rapporteurs pour le Parlement européen, et qui a été voté en l'état, sans aucune modification, par la commission parlementaire des affaires juridiques (JURI). En outre, nous avons produit une analyse complète soulevant des questions sur la légalité de la base juridique de ce règlement. Mais ces problèmes n'ont jamais été abordés par les négociateurs des institutions de l'UE.

Le vote en séance plénière du Parlement européen a été ajourné, officiellement jusqu'à ce qu'un accord ait été trouvé au sein du Conseil sur le siège de la division centrale de la Cour unifiée des brevets, censée être compétente sur les litiges concernant les brevets unitaires. Nous incitons les membres du Parlement européen a tirer parti de ce délai pour soulever officiellement les principaux problèmes autour du brevet unitaire. N'importe quel députés peut adresser les interrogations ci-dessous dans des questions écrites à la Commission et au Conseil.

Sur la base juridique de la proposition

Après l'opposition de l'Italie et de l'Espagne, la proposition de règlement sur le brevet unitaire est mise en œuvre dans le cadre d'une coopération renforcée. Ce choix est-il tenable sachant que l'Espagne et l'Italie ont déjà saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), arguant que la création d'un brevet unitaire – puisque ne pouvant être réalisée qu'au niveau de l'Union – devait être considérée comme une compétence exclusive1 de l'Union européenne (UE) ?

Le règlement sur le brevet unitaire est censé constituer un « accord particulier au sens de l'article 142 de la Convention sur la délivrance de brevets européens (CBE) » (art. 1er). La CBE est un accord international. Un accord international, tel que défini dans l'article 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, est « conclu par écrit entre États et régi par le droit international ». Un règlement de l'UE, tel que celui sur le brevet unitaire, peut-il dès lors constituer un « accord particulier » au sens de l'article 142 CBE, alors qu'un règlement de l'UE n'est pas un accord international ?

L'article 142 CBE permet un accord entre un groupe d'États contractants de la CBE. Le règlement sur le brevet unitaire étant un acte normatif de l'UE et l'UE ne pouvant être considérée comme un groupe d'États contractants de la CBE, la proposition est-elle conforme à l'article 142 CBE ?

La base juridique du règlement sur le brevet unitaire est l'article 118, premier alinéa du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Cet article donne à l'UE la compétence pour créer un nouveau titre de brevet. Dès lors, peut-on considérer que la proposition de règlement sur le brevet unitaire respecte l'article 118.1 TFUE, sachant que le brevet unitaire n'est pas défini comme étant un nouveau titre de brevet de l'UE ?

La base juridique du règlement sur le brevet unitaire, l'article 118.1 TFUE, fait partie du domaine des compétences partagées entre l'UE et les États membres. Dans ce domaine de compétences partagées, l'Union européenne et les États membres peuvent tous adopter une législation et doivent coopérer. Lorsque l'UE a exercé sa compétence, les États membres ne sont plus autorisés à le faire. Dans le contexte du brevet unitaire, cela pourrait signifier qu'une fois que l'UE a adopté un règlement, basé sur l'article 118.1 TFUE, les États membres ne seraient plus autorisés à conclure de leur côté un accord international. Par conséquent, les États membres ont-ils la capacité à conclure librement un accord particulier, au sens de l'article 142 CBE, sans que l'UE ne soit également partie à cet accord international ?

Sur la délégation de pouvoirs à l' Office européen des brevets (OEB)2

Est délégué à l'Office européen des brevets (OEB) – organisation internationale, extérieure à l'UE – le pouvoir de délivrer des brevets européens avec effet unitaire. Les dispositions de la CBE exécutant cette délégation de pouvoirs doivent-elle être considérées comme faisant partie du droit de l'Union afin qu'elles soient soumises aux mêmes règles qu'une délivrance par une agence de l'UE ?

Dans ce cadre, le règlement doit-il explicitement réaffirmer le caractère autonome du brevet unitaire, afin qu'il ne soit soumis qu'aux dispositions du règlement, aux traités et au droit de l'Union et aux dispositions de la convention sur le brevet européen, réputées constituer des dispositions dudit règlement ?

D'après la proposition de règlement sur le brevet unitaire, est-il possible pour un justiciable, dans un litige portant sur un brevet unitaire, de formuler, auprès d'une juridiction, une question préjudicielle portant sur le droit matériel des brevets à transmettre à la CJUE ?

Sur le projet d'accord sur une Cour unifiée des brevets

Il est proposé d'établir une juridiction internationale en matière de brevets par un accord conclu exclusivement entre les États membres. L'Union européenne n'en ferait pas partie. Pourtant, cet accord international nécessite des adaptations de l'acquis de l'UE (notamment, le règlement « Bruxelles I » sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale) et est susceptible de l'affecter. Conformément à la jurisprudence « AETR » et à l'article 3 §2 du TFUE, l'UE dispose d'une compétence exclusive pour la conclusion d'un accord international dans la mesure où cette conclusion est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée. L'UE n'aurait-elle pas compétence exclusive pour conclure cet accord ?

Cette nouvelle juridiction internationale appliquerait et interpréterait non seulement les futurs règlements de mise en œuvre de la coopération renforcée sur la protection par brevet unitaire qui, pour les Etats membres participants, feront partie de l'acquis de l'UE, mais aussi les règles du TFUE sur le marché intérieur ou encore la Charte des droits fondamentaux. Dans ces circonstances et quand bien même il n'y aurait pas de compétence exclusive dans le chef de l'UE, est-il juridiquement possible d'établir entre les Etats membres de l'UE une juridiction internationale qui applique le droit de l'UE (droit primaire, Charte des droits fondamentaux, actes de droit dérivé) sans que l'UE ne soit associée à la conclusion de l'accord qui institue cette juridiction ?

  • 1. Sur le questionnement concernant la légalité de la coopération renforcée, voir : Lamping, Matthias, Enhanced Cooperation – A Proper Approach to Market Integration in the Field of Unitary Patent Protection? (October 20, 2011). International Review of Intellectual Property and Competition Law, No. 8, 2011. Disponible sur le réseau SSRN : http://ssrn.com/abstract=1946875.
  • 2. Sur les problèmes concernant la délégation de pouvoirs à l'OEB, voir : Jaeger, Thomas, All Back to Square One? – An Assessment of the Latest Proposals for a Patent and Court for the Internal Market and Possible Alternatives (December 15, 2011). Max Planck Institute for Intellectual Property & Competition Law Research Paper No. 12-01. Disponible sur le réseau SSRN: http://ssrn.com/abstract=1973518.