Base juridique du brevet unitaire : ne pas jouer avec le feu !

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L'examen minutieux de la base juridique du règlement sur le brevet unitaire fait apparaître que celle-ci est, au mieux, discutable. Au pire, de tels doutes pourraient très bien signifier que ce règlement est tout bonnement illégal. Dans un contexte où la procédure de coopération renforcée est d'ores et déjà exposée à deux recours devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), l'avenir du brevet unitaire ne peut se permettre une telle incertitude juridique. Heureusement, des amendements au règlement proposé sont susceptibles d'aider à surmonter en partie cet obstacle.

Première raison : aucune création de titres européens de brevet

La base juridique du règlement est l'Article 118, premier alinéa du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Cela était indiqué dans un considérant de la décision ayant autorisé cette coopération renforcée :

(9) Le domaine dans lequel s'exercerait la coopération renforcée, l'établissement de mesures relatives à la création d'un brevet unitaire assurant une protection dans l'ensemble de l'Union et la mise en place de régimes d'autorisation, de coordination et de contrôle centralisés au niveau de l'Union, est identifié par l'article 118 du TFUE comme l'un des domaines visés par les traités.

Et la Commission a explicitement déclaré une telle base juridique dans son exposé des motifs pour cette proposition de règlement :

La décision 2011/167/UE du Conseil autorise les États membres énumérés à son article 1er à établir une coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection par brevet unitaire.
L'article 118, premier alinéa, du TFUE, constitue la base juridique pour établir des titres européens assurant une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l'Union, par voie de règlement adopté par le Parlement européen et le Conseil statuant conformément à la procédure législative ordinaire.

L'article 118 (1) TFUE est ainsi rédigé :

Dans le cadre de l'établissement ou du fonctionnement du marché intérieur, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures relatives à la création de titres européens pour assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l'Union, et à la mise en place de régimes d'autorisation, de coordination et de contrôle centralisés au niveau de l'Union.

Il ne fait aucun doute que cet article donne à l'UE la compétence pour créer un nouveau titre de brevet. La formulation mandate clairement l'UE en vue d'une création, c'est-à-dire quelque chose de nouveau. Et l'objet de cette création n'est pas une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle, comme pourrait le laisser penser à tort le titre officiel du règlement – Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection par brevet unitaire. La protection uniforme est en fait le but à atteindre par une telle création. Mais l'objet de la création est indubitablement des titres européens.

Un tel titre de brevet aurait dû s'appeler, et l'a en fait été, un brevet communautaire ou, depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, un brevet de l'UE. C'était en fait le cas dans le document de travail du Conseil qui a été transmis à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), lorsque l'on a demandé à cette dernière un avis sur la conformité avec les traités de l'UE du projet d'accord sur une juridiction unifiée pour ce nouveau brevet de l'UE – la juridiction proposée auraient également été compétente pour les brevets européens habituels délivrés par l'Office européen de brevets (OEB). Ce document de travail prévoyait que l'UE adhérerait à la Convention sur le brevet européen (CBE) – l'accord juridique international qui a donné naissance à l'Office européen des brevets (OEB) et a défini le droit matériel pour les brevets européens, i.e. les conditions dans lesquelles sont délivrés les brevets européens, comme la CJUE l'a récapitulé dans son avis :

51. En outre, il importe de relever que le contexte dans lequel se présente le projet d'accord est évoqué dans la demande d'avis. En effet, ce projet fait partie d'un ensemble de mesures, actuellement à l'étude au sein de diverses instances de l'Union, telles que la création d'un brevet communautaire en tant que nouveau titre de propriété intellectuelle et l'adhésion de l'Union à la CBE.

Mais le règlement sur le brevet unitaire, tel que proposé par la Commission et accepté par le Conseil, adopte une toute autre direction et, en fait, ne crée pas de nouveau titre de brevet. À la place, il est proposé de conférer une caractéristique spéciale d'avoir un effet unitaire au brevet européen classique délivré par l'OEB et régi par la CBE. Mais ces titres de brevets resteraient des brevets européens de l'OEB, sans qu'aucun nouveau titre de brevet ne soit créé.

Par conséquent, à moins que le brevet unitaire ne soit défini sans ambiguïté comme un nouveau titre de brevet de l'UE, il existe une très forte présomption que le règlement ne satisfasse pas l'article 118 TFUE, et soit ainsi dépourvu de base juridique correcte dans les traités.

Deuxième raison : un règlement de l'UE n'est pas un accord particulier

Afin de conférer un effet unitaire au brevet européen classique de l'OEB, le premier article de la proposition de règlement sur le brevet unitaire dispose que :

Le présent règlement constitue un accord particulier au sens de l'article 142 de la Convention sur la délivrance de brevets européens (Convention sur le brevet européen), telle que modifiée (ci-après « la CBE »).

L'article 142 CBE est ainsi rédigé :

Brevet unitaire
(1) Tout groupe d'États contractants qui, dans un accord particulier, a disposé que les brevets européens délivrés pour ces États auront un caractère unitaire sur l'ensemble de leurs territoires, peut prévoir que les brevets européens ne pourront être délivrés que conjointement pour tous ces États.
(2) Les dispositions de la présente partie sont applicables lorsqu'un groupe d'États contractants a fait usage de la faculté visée au paragraphe 1.

La CBE est un accord international, que l'on peut désigner également par traité, accord, arrangement, pacte, charte, échange de lettres, protocole, parmi d'autres termes. En tant que telle, elle lie les États contractants et doit être interprétée selon la Convention de Vienne sur le droit des traités, dont l'article 31.1 stipule :

1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

La seule manière d'interpréter de bonne foi l'expression « accord particulier » de l'article 142 CBE est qu'il s'agit également d'un accord international. Par conséquent, le premier article de la proposition de règlement sur le brevet unitaire suggère que ce règlement doit être envisagé comme étant un accord international.

Ceci est confirmé et même renforcé par le considérant 6 du règlement sur le brevet unitaire, qui dispose que :

(6) Aux termes de la 9e partie de la CBE, un groupe d'États membres de l'Organisation européenne des brevets (ci-après « l'Organisation ») peut prévoir que les brevets européens délivrés pour ces États auront un caractère unitaire. Le présent règlement constitue un accord particulier au sens de l'article 142 de la CBE, un traité de brevet régional au sens de l'article 45, paragraphe 1, du traité de coopération en matière de brevets du 19 juin 1970 et un arrangement particulier au sens de l'article 19 de la Convention pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883 et révisée en dernier lieu le 14 juillet 1967.

L'article 45, paragraphe 1, du traité de coopération en matière de brevets du 19 juin 1970 est ainsi rédigé :

1) Tout traité prévoyant la délivrance d'un brevet régional ("traité de brevet régional") et donnant à toute personne, autorisée par l'article 9 à déposer des demandes internationales, le droit de déposer des demandes tendant à la délivrance de tels brevets peut stipuler que les demandes internationales contenant la désignation ou l'élection d'un état partie à la fois au traité de brevet régional et au présent traité peuvent être déposées en vue de la délivrance de brevets régionaux.

L'article 19 de la Convention pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883 et révisée en dernier lieu le 14 juillet 1967 est ainsi rédigé :

Il est entendu que les pays de l'Union se réservent le droit de prendre séparément, entre eux, des arrangements particuliers pour la protection de la propriété industrielle, en tant que ces arrangements ne contreviendraient pas aux dispositions de la présente Convention.

Un accord international, tel que défini dans l'article 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités est : « conclu par écrit entre États et régi par le droit international ». On dit du droit international qu'il est de nature horizontale, c'est-à-dire que tous les États sont souverains et théoriquement égaux. Les parties à un accord international acceptent d'être liées par cet accord et ce consentement, selon l'article 11 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, doit être « exprimé par la signature, l'échange d'instruments constituant un traité, la ratification, l'acceptation, l'approbation ou l'adhésion, ou par tout autre moyen convenu ».

Alors que les règlement de l'UE sont adoptés par des dispositions législatives. Selon l'article 288 TFUE, les règlements de l'UE sont l'un des instruments – avec les directives, les décisions, les recommandations et les avis – des institutions de l'UE pour « exercer les compétences de l'Union ». Ainsi, ce sont des actes législatifs du droit de l'Union, qui doit être considéré comme un droit interne, s'imposant verticalement aux citoyens de l'UE. Un règlement de l'UE « est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre ». Dans le cas du brevet unitaire, le règlement est voté par le Parlement européen et par les États membres participants du Conseil.

Étant donné leur nature substantifiquement différente – droit international d'une part et droit interne d'autre part – ainsi que dans les procédures utilisées pour qu'ils entrent en vigueur – divers instruments pour exprimer son consentement à être lié par un accord international d'une part et promulgation d'une législation par une législature d'autre part – il est indiscutable qu'un règlement de l'UE ne peut pas être un accord international.

En outre, un règlement est un acte normatif de l'Union européenne, en tant que telle. Et l'UE ne peut être considérée comme étant un groupe d'États contractants de la CBE.

Par conséquent, le règlement sur le brevet unitaire ne peut pas constituer un accord particulier au sens de l'article 142 CBE. Un tel accord devrait être conclu séparément et être soumis aux procédures du droit international – signature, échange d'instruments, ratification, acceptation, approbation ou adhésion – pour son entrée en vigueur.

Troisième raison : les États membres sont privés de compétence pour utiliser l'article 142 CBE

La base juridique du règlement sur le brevet unitaire, i.e. l'article 118 TFUE, fait partie du domaine des compétences partagées1 entre l'UE et les États membres. La décision du Conseil ayant autorisé un tel règlement, est on ne peut plus claire là-dessus :

(12) La création d'une protection par brevet unitaire ne figure pas dans la liste des domaines de compétence exclusive de l'Union énoncés à l'article 3, paragraphe 1, du TFUE. La base juridique pour la création de droits de propriété intellectuelle européens est l'article 118 du TFUE, qui fait partie, sous le titre VII (les règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations), du chapitre 3 (le rapprochement des législations), et fait spécifiquement référence à l'établissement et au fonctionnement du marché intérieur, qui constitue l'une des compétences partagées de l'Union conformément à l'article 4 du TFUE. La création d'une protection par brevet unitaire, en ce compris la définition de ses modalités de traduction, s'inscrivent donc dans le cadre des compétences non exclusives de l'Union.

Dans ce domaine des compétences partagées, l'Union européenne et les États membres peuvent tous adopter une législation et doivent coopérer, ainsi que le spécifie l'article 4 du traité sur l'Union européenne (TUE) :

Les États membres facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union.

Qui plus est, lorsque l'UE a exercé sa compétence, les États membres ne sont plus autorisés à le faire. L'article 2.2 TFUE clarifie cette restriction :

Les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l'Union n'a pas exercé la sienne.

Dans le contexte du brevet unitaire, cela pourrait signifier qu'une fois que l'UE a adopté un règlement, basé sur l'article 118 TFUE, les États membres ne serait plus autorisés à conclure de leur côté un accord spécial au sens de l'article 142 CBE – qui doit être, comme nous l'avons vu, un accord international.

Dans une décision historique, arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit « AETR » (22/70, Rec. p. 263), la Cour de justice européenne a confirmé que, lorsque l'UE a légiféré dans le domaine des compétences partagées, les États membres ne peuvent plus agir hors du cadre de l'UE :

22. […] dans la mesure où des règles communautaires sont arrêtées pour réaliser les buts du traité , les États membres ne peuvent, hors du cadre des institutions communes, prendre des engagements susceptibles d'affecter lesdites règles ou d'en altérer la portée.

L'avis AETR a été constamment repris par la jurisprudence ultérieure de la CJUE. Et dans son avis 2/91 du 19 mars 1993, la Cour de justice européenne a clarifié davantage que, dans les domaines des compétences partagées, les États membres n'étaient autorisés à conclure un accord international que conjointement avec l'UE :

9. Le caractère exclusif ou non de la compétence de la Communauté ne découle pas seulement des dispositions du traité, mais peut dépendre également de l'étendue des mesures qui ont été prises par les institutions communautaires pour l'application de ces dispositions et qui sont de nature à priver les États membres d'une compétence qu'ils pouvaient exercer auparavant à titre transitoire. Comme la Cour l'a affirmé dans l'arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit "AETR" (22/70, Rec. p. 263, point 22), lorsque des règles communautaires ont été arrêtées pour réaliser les buts du traité, les États membres ne peuvent, hors du cadre des institutions communes, prendre des engagements susceptibles d'affecter lesdites règles ou d'en altérer la portée.
11. Or, la mission de la Communauté et les buts du traité seraient également compromis si les États membres pouvaient conclure des engagements internationaux contenant des règles susceptibles d'affecter des règles adoptées dans des domaines ne relevant pas de politiques communes ou d'en altérer la portée.
12. Enfin, un accord peut intervenir dans un domaine où les compétences sont partagées entre la Communauté et les États membres. Dans un tel cas, la négociation et la mise en oeuvre de l'accord exigent une action commune de la Communauté et des États membres (arrêt Kramer, précité, points 39 à 45, et avis 1/78, précité, point 60).

Par conséquent, on peut s'interroger sur la capacité des États membres à librement conclure un accord particulier, au sens de l'article 142 CBE, sans que l'UE soit également partie à cet accord international.

Comment et pourquoi en est-on arrivé là ?

L'idée d'avoir un brevet unitaire couvrant toute l'Union européenne est aussi ancienne que celle de l'Office européen des brevets. On peut déjà trouver des indications dans une recommandation du Conseil de l'Europe en 1949, proposée par le sénateur français M. Longchambon. L'idée s'est concrétisée dix ans plus tard, lors d'une allocution de M. von der Groeben – considéré comme l'un des pères fondateurs de l'Union européenne et, à l'époque, membre de la Commission de la Communauté économique européenne – à l'occasion de la réunion du 19 novembre 1959 sur le rapprochement des législations dans le domaine de la propriété intellectuelle :

Deux solutions sont possibles : l'harmonisation des législations nationales, qui pourrait s'accompagner d'une procédure internationale uniforme de dépôt des droits de propriété industrielle, et la création d'un droit européen uniforme. Il semble que la première solution, avec les deux possibilités qu'elle comporte, ne nous permettrait pas de remplir parfaitement les tâches qui nous incombent dans le marché commun, mais pourrait être considérée, sous certaines réserves, comme un pas vers la seconde solution.

La première solution a montré le chemin vers la CBE et l'OEB, et la seconde vers ce qui s'appelle désormais le brevet unitaire. Et cette antique allocution montre déjà que la CBE n'était considérée que comme une première étape vers une solution complète qui aurait été atteinte par la création d'un brevet unitaire.

Ces solutions ont finalement été mises en œuvre par deux accords internationaux : la CBE, qui est entrée en vigueur en 1973, et la Convention relative au brevet européen pour le marché commun, également appelée « Convention sur le brevet communautaire », ou CBC. Cette dernière a été signée en 1975 mais n'est jamais entrée en vigueur, faute d'avoir été ratifiée par suffisamment de pays. La CBC a été complétée en dernier lieu en 1989 par l'Accord en matière de brevets communautaires, ou ABC, qui n'a pas non plus réussi à entrer en vigueur. Malgré ces échecs de la CBC ou de l'ABC, leur caractéristique qui nous importe est que ce sont des accords internationaux, tout comme la CBE et l'« accord particulier » mentionné par l'article 142 CBE. Par conséquent, tant la CBC que l'ABC stipulent dans leur préambule :

qu'il importe à ces fins de conclure entre elles un accord qui constitue un accord particulier au sens de l'article 142 de la convention sur la délivrance de brevets européens, un traité de brevets régional au sens de l'article 45 paragraphe 1 du traité de coopération en matière de brevets du 19 juin 1970 et un arrangement particulier au sens de l'article 19 de la convention pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883 et révisée en dernier lieu le 14 juillet 1967.

Comme nous l'avons détaillé ci-dessus, une telle déclaration est parfaitement correcte lorsqu'il s'agit d'accords internationaux, mais se révèle problématique – pour le moins qu'on puisse dire – dans le cas d'un règlement de l'UE.

Mais surtout, le fait que la CBE et la CBC aient été élaborées en parallèle avec comme objectif que la CBE soit une première étape vers un objectif final qui aurait été atteint avec la CBC, explique la logique qui sous-tend l'article 142 CBE : ce dernier a été rédigé initialement pour fournir une interface entre la CBE et la CBC. Les rapports concernant le premier avant-projet de convention relative à un système européen de délivrance de brevets clarifient ce point :

L'article 8 permet aux pays de la CEE de s'assurer que le brevet européen est unitaire pour autant que le marché commun est concerné et doit couvrir tous ou aucun des pays de la CEE2.

Cet avant-projet a été publié par la Conférence intergouvernementale pour la mise en place d'un système européen lors de sa deuxième réunion ayant eu lieu à Luxembourg du 13 au 16 janvier 1970. Les travaux de cette conférence ont conduit à la CBE. À cette époque, la disposition de l'article 142 CBE sur un accord particulier se trouvait à l'article 8. Le commentaire ci-dessus de la délégation britannique montre clairement que le but de cet article était de permettre à la Communauté européenne de profiter de la procédure de délivrance offerte par la CBE.

En 1997, La Commission européenne expliquait dans son Livre vert sur le brevet communautaire et le système des brevets en Europe, les raisons pour lesquelles le système des brevets en Europe a été originellement mis en place en se basant sur deux accords internationaux et pourquoi une telle base pouvait être modifiée au profit d'un règlement de l'UE :

L'on remarquera que le système des brevets en Europe s'est mis en place par le recours à des conventions internationales. Ceci s'explique par le fait que ces initiatives furent prises à une époque où la compétence de la Communauté dans ce domaine n'était pas établie. Cette époque est aujourd'hui révolue et la Cour de Justice des Communautés européennes a reconnu, à plusieurs reprises, une compétence à la Communauté d'intervenir dans le domaine des brevets, si cela contribue à réaliser un des objectifs du traité (libre circulation des marchandises ou établissement des conditions d'une concurrence non faussée). Il convient toutefois de souligner que la création d'un nouveau titre communautaire par un règlement requiert, en vertu de l'article 235 du traité CE, l'unanimité des États membres, ce qui implique la nécessité de trouver un consensus sur toutes les questions techniques qui sont posées.
Les avantages du recours au règlement communautaire seraient, d'une part, la certitude quant à la date d'entrée en vigueur qui serait fixée irrévocablement par le texte lui-même (alors que l'entrée en vigueur d'une convention est aléatoire et dépend de la rapidité avec laquelle les États signataires la ratifient) et, d'autre part, une grande facilité au moment des élargissements futurs de la Communauté, puisque le règlement ferait automatiquement partie de « l'acquis communautaire » et ne devrait pas être modifié ou renégocié. La transformation de la convention de Luxembourg en un instrument juridique relevant du traité, basé sur l'article 235, constitue dès lors une question fondamentale.

Les décisions de la CJUE mentionnées par la Commission se trouvent dans le point 27 de l'arrêt de la Cour du 13 juillet 1995 dans l'affaire C-350/92 Royaume d'Espagne contre Conseil, Rec. 1995, I, p. 1185:

22 Il en résulte que ni l'article 222 ni l'article 36 du traité ne réservent au législateur national un pouvoir de réglementer le droit substantiel de brevet excluant toute action communautaire dans cette matière.

et dans le point 59 de son avis 1/94 du 15 novembre 1994, Rec. 1994, I, p. 5267 (demande d'avis présentée par la Commission sur le caractère exclusif ou non de la compétence de la Communauté pour signer les accords du GATT) :

59 Il y a lieu de souligner, à cet égard, que, sur le plan législatif interne, la Communauté dispose, en matière de propriété intellectuelle, d'une compétence d'harmonisation des législations nationales au titre des articles 100 et 100 A et peut se fonder sur l'article 235 pour créer des titres nouveaux qui viennent se superposer aux titres nationaux, comme elle l'a fait avec le règlement sur la marque communautaire (règlement (CE) nº 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, JO L 11 du 14 janvier 1994, p. 1). Ces dispositions sont soumises à des règles de vote (l'unanimité pour ce qui est des articles 100 et 235) ou à des règles de procédure (consultation du Parlement dans le cas de l'article 100 et de l'article 235, procédure de codécision dans le cas de l'article 100 A) différentes de celles qui sont applicables dans le cadre de l'article 113.

Par conséquent, il devient clair que l'UE dispose d'une compétence pour créer un brevet unitaire au moyen d'un règlement. L'article 235 du traité de Rome, auquel fait référence la CJUE, permet en fait à l'UE de proposer des règlements, même si les traités n'ont pas prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, si une telle action paraît nécessaire, dans le cadre des politiques définies par les traités, pour atteindre l'un des objectifs de l'UE. Un tel règlement doit être adopté à l'unanimité par le Conseil. Cet article a été renuméroté en 308 avec l'entrée en vigueur du traité de Maastricht et, en dernier lieu, est à la base de l'article 352 TFEU dans le traité de Lisbonne. Mais surtout, le traité de Lisbonne a instauré une compétence encore plus claire pour que l'UE puisse créer un brevet unitaire avec l'article 118. Et, mis à part pour les régimes linguistiques qui font l'objet du second alinéa, les règlements adoptés selon le premier alinéa de l'article 118, nécessitent seulement une majorité qualifiée au Conseil et l'approbation du Parlement européen.

À partir de ce moment, il est devenu clair que l'interface entre la CBE et le brevet unitaire – qui peut être créé à travers un règlement de l'UE au lieu d'un accord international – ne réside plus dans l'article 142 CBE, mais peut être accomplie au moyen de l'adhésion de l'UE à la CBE.

Il faut noter que le commissaire Barnier, qui est responsable du dossier sur le brevet unitaire pour la Commission européenne, sait depuis longtemps – avant même l'élaboration du traité de Lisbonne – que l'article 118 TFUE est la base juridique correcte pour créer un brevet unitaire. L'idée d'un tel article explicité avait en effet été mise en avant dans une lettre envoyée par l'Union syndicale de l'Office européen des brevets (USOEB ou SUEPO en anglais), le 21 juillet 2000. À cette époque, Michel Barnier était le commissaire européen chargé de la politique régionale et responsable, ad personam, de la réforme institutionnelle, et à ce titre, était le négociateur pour la Commission dans la conférence intergouvernementale qui a conduit au traité de Nice. La lettre de l'USOEB, adressée au ministre français responsable de la politique des brevets, et pour laquelle le Commissaire Barnier était en copie, demandait :

Nous suggérons donc que la présidence française saisisse l'occasion de la Conférence intergouvernementale sur la révision des Traités pour proposer que les règles du Traité sur la Communauté européenne en matière de vote à la majorité qualifiée s'appliqueraient aussi pour le droit de brevet en Europe3.

On peut déduire de cette lettre que le commissaire Barnier sait parfaitement que l'objectif de l'article 118 TFEU est de créer un nouveau titre de brevet, sans l'exigence d'unanimité de la part des membres du Conseil pour qu'ils votent une telle création. Ainsi, pourquoi la Commission a-t-elle proposé un règlement qui ne crée pas du tout de nouveau titre de brevet, bien qu'il soit basé sur l'article 118 TFUE ?

Pour répondre à cette question, il faut considérer la base réelle dans les traités pour proposer un règlement ne créant pas de nouveau titre de brevet, mais s'appuyant sur l'article 142 CBE afin de conférer un effet unitaire aux brevets européens classiques de l'OEB. La réponse a été fournie par des membres du « microcosme des brevets ». Par exemple, dans ce commentaire de Leo Steenbeek, avocat en brevets pour Philips, ou – de manière plus intéressante – dans une lettre de l'Association des détenteurs de propriété intellectuelle (Intellectual Property Owners Association, IPO). Dans cette lettre, ce lobby pour les détenteurs de brevets avance que :

aucun amendement à la Convention sur le brevet européen (CBE) n'est nécessaire ni désiré, et par conséquent, il faut utiliser une base juridique différente du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne4.

La logique est que pour que l'UE adhère à la CBE, des amendements à cette dernière sont nécessaires pour permettre que non seulement des États, mais également des organisations comme l'UE, puissent être parties à la CBE. Puisque de telles modifications de la CBE sont soumises à l'approbation de tous ses États contractants, il s'agit d'une procédure assez lente. L'IPO et Steenbeek conseillent donc d'utiliser l'article 142 CBE. Mais avec ce dernier, ils écartent également l'article 118 TFUE comme étant la base juridique appropriée dans les traités et indiquent à juste titre l'article 114 TFUE, qui permet au Parlement européen et à la majorité qualifiée du Conseil de prendre des mesures d'harmonisation – évitant en passant l'exigence d'unanimité du second alinéa de l'article 118 TFUE quant au régime linguistique.

Une fois de plus, il faut noter que le commissaire Barnier est parfaitement au courant de cela. Il était l'un des destinataires de la lettre de l'IPO, avec Vincent Van Quickenborne – le ministre belge qui présidait le Conseil lorsque la décision sur la coopération renforcée a été prise, et qui depuis a été l'un des partisans les plus actifs de la proposition de la Commission – et Klaus-Heiner Lehne – le président de la commission parlementaire des affaires juridiques (JURI) qui a précipité l'adoption de la coopération renforcée par le Parlement européen.

Si le commissaire Barnier avait suivi la préconisation du microcosme des brevets d'utiliser l'article 142 CBE avec un règlement basé sur l'article 114 TFUE, cela aurait été une décision politique catastrophique. Car le résultat aurait été que l'UE aurait totalement abandonné au profit de l'OEB son pouvoir de définir une politique des brevets et de l'innovation. Mais au moins, cela aurait été correct d'un point de vue juridique. Mais puisque la décision de procéder dans le cadre d'une coopération renforcée n'a été autorisée que pour un règlement spécifiquement basé sur l'article 118 TFUE, la Commission ne pouvait pas utiliser une base juridique différente dans les traités.

On ne peut que spéculer sur les raisons qui ont conduit la Commission a abandonner le projet d'une adhésion de l'UE à la CBE, ou sur le fait que la décision d'autoriser la coopération renforcée n'a pas proposé dès le départ que le règlement la mettant en œuvre ne soit basé sur l'article 114 TFUE. L'adhésion de l'UE à la CBE faisait encore partie des projets de proposition lorsqu'a été prise la décision de continuer avec une coopération renforcée. Il y a donc une chance que le glissement vers le cadre de la coopération renforcée ait été prépondérant. Peut-être que certains doutes ont été soulevés quant à la possibilité de conclure un accord international – l'adhésion à la CBE – pour une Union réduite à seulement certains États membres. Rien n'indique dans les traités, que l'UE, lorsqu'elle agit dans une coopération renforcée, possède toujours une personnalité juridique. Un autre facteur a certainement été l'avis de la CJUE qui a enterré le projet connexe de juridiction unifiée pour le brevet unitaire. Deux jours après ce rejet pour incompatibilité avec l'ordre juridique de l'Union, la Commission et le Conseil se dépêchaient encore pour donner officiellement leur feu vert à la coopération renforcée, comme s'il était plus important de « maintenir cette dynamique » – ainsi que la Commission l'a déclaré quelques heures après que la CJUE a rendu son avis – que de prendre le temps d'en analyser soigneusement les conséquences.

Mais ce dont on peut être certain est que, malgré les mises en garde, la coopération renforcée a été lancée avec précipitation. Et cette précipitation pourrait très bien expliquer pourquoi nous aboutissons maintenant à trouver des lacunes majeures dans la base juridique du règlement sur le brevet unitaire.

Une éventuelle voie à suivre

Ainsi que nous l'avons démontré ci-dessus, il existe de sérieuses raisons de penser que la base juridique de la proposition pour un règlement (COM(2011)0215 – 2011/0093(COD) du Parlement européen et du Conseil mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection par brevet unitaire soit incorrecte et que ce règlement puisse donc être illégal vis-à-vis des traités de l'Union. Comme dans toute question juridique, personne ne peut répondre avec 100% de certitude aux problèmes non négligeables que nous avons soulevés… jusqu'à la décision ultime de la juridiction compétente – dans notre cas : la Cour de justice de l'Union européenne.

Dès lors, quelle serait la marche à suivre ? On peut envisager les options suivantes :

  1. persévérer avec la proposition actuelle malgré sa base juridique douteuse dans l'espoir que ces doutes ne seront jamais avalisés par la CJUE ;
  2. mettre de côté la proposition actuelle et récrire un nouveau projet débarrassé de tout doute juridique, par exemple en conférant la délivrance du brevet unitaire à une agence de l'UE – l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), basé à Alicante, qui est déjà responsable de la marque communautaire, serait un candidat tout désigné ;
  3. amender la proposition actuelle afin de corriger les problèmes soulevés.

Mais le règlement sur le brevet unitaire n'échappera pas au contrôle de la CJUE. Durant une réunion du Conseil, l'Espagne et l'Italie ont d'ores et déjà annoncé qu'ils l'attaqueraient devant la CJUE, tout comme ils ont déjà déposé un recours contre la décision du Conseil d'autoriser une coopération renforcée. Le risque est trop grand que la proposition, avec les doutes qu'elle soulève actuellement, ne soit complètement annulée. Ainsi, la première option n'est pas réellement envisageable.

Quant à la deuxième option, il serait certainement très sage de reconstruire un système des brevets dans l'esprit de celui du système pour les marques communautaires. Malheureusement, la Commission n'a jamais été très encline à mettre en place une agence de l'UE pour les brevets sur le modèle de l'Office d'Alicante. Et le « microcosme des brevets » semble radicalement opposé à une telle solution. Il faut noter que le microcosme des brevets pourrait très bien tuer le règlement actuel, simplement parce qu'il n'est pas entièrement satisfait, suite à l'avis de la CJUE, que les contentieux relatifs aux brevets unitaires ne puissent échapper à un contrôle par la CJUE. Le microcosme des brevets a d'ores et déjà fortement conseillé « à la Commission et aux États membres de ne pas précipiter de décision politique »5. On peut donc anticiper qu'il serait assez difficile de faire accepter cette option.

Mais la dernière option fournit une voie intermédiaire entre les deux premières alternatives radicales. Et il est assez immédiat de trouver des amendements qui puissent corriger la proposition actuelle. Tout d'abord, en ce qui concerne le problème dû au fait que le règlement ne satisferait pas l'article 118 TFUE si aucun nouveau brevet n'est créé, il semble suffisant de déclarer qu'un brevet européen à effet unitaire devrait être un titre de brevet de l'Union européenne. Ensuite, à propos du caractère irréalisable de l'utilisation de l'article 142 CBE, la correction évidente est de supprimer la référence à l'article 142 CBE dans le règlement sur le brevet unitaire.

Il resterait alors, avec ces deux premiers amendements, à résoudre la question de l'interface entre le brevet unitaire et la CBE. L'avis des Avocats généraux de la CJUE fournit quelques suggestions à ce sujet :

69. Rappelons que les brevets communautaires seront délivrés par l'OEB selon les règles applicables en vertu de la CBE pour l'octroi des brevets européens. L'audition devant la Cour a révélé que cette technique administrative peut être qualifié de deux manières différentes :
⋅ La théorie de la délégation : selon le Parlement et le Conseil, il s'agira d'une délégation de pouvoirs administratifs, accordée à l'OEB par l'Union européenne ; l'OEB délivrera des brevets communautaires en lieu et place d'une agence de l'Union européenne.
⋅ La théorie de la transformation : selon la Commission, l'OEB n'agira pas pour le compte de l'Union européenne et délivrera en réalité uniquement un brevet européen en application de la CBE ; ce brevet européen ne sera que transformé dans l'ordre juridique de l'Union, pour devenir un brevet communautaire, et ce automatiquement, par les seuls effets du règlement sur le brevet communautaire.

La théorie de la transformation n'est recevable que dans le cas d'une adhésion de l'UE à la CBE. Cela peut être déduit, par exemple, de la définition d'un brevet unitaire – en fait d'un brevet de l'UE, puisqu'il était nommé ainsi à cette époque – donnée dans l'orientation générale adoptée par le Conseil « compétitivité » du 4 décembre 2009 (16113/09 ADD 1): un « brevet européen désignant l'UE, délivré par l'OEB en vertu des dispositions de la CBE » serait transformé en brevet unitaire.

Mais dans le cas où, comme dans la proposition actuelle, il n'y a pas d'adhésion de l'UE à la CBE, la seule option disponible est une délégation de pouvoirs administratifs à l'OEB. En fait, une telle délégation est déjà inscrite dans l'article 12 de la proposition actuelle.

Une telle délégation de pouvoirs nécessite néanmoins de se conformer à certaines exigences, comme indiqué par les Avocats généraux :

Peut également être laissée en suspens la question de savoir si une éventuelle délégation de pouvoirs à un organe international tel que l'OEB serait compatible ou non avec les traités (à cet égard, voir en particulier les critères dégagés par la Cour dans son arrêt du 13 juin 1958, Meroni/Haute Autorité, 9/56, Rec. 1958 p. 9 (40)].

Les critères dégagés par la CJUE dans l'affaire citée par les Avocats généraux comprennent en particulier celui-ci :

Attendu que la décision n° 14-55 n'a soumis l'exercice des pouvoirs qu'elle confiait aux organismes de Bruxelles à aucune des conditions auxquelles il eut été soumis si la Haute Autorité les avait exercés directement

Cela signifie que si l'UE a reçu des traités la compétence pour agir, ces actes peuvent être délégués à un organe extra-UE, à la condition que les actions de cet organisme extra-UE soient soumises aux mêmes contrôles que si elles avaient été accomplies par une agence de l'UE.

Il faut mentionner que certains universitaires6 ont donné l'interprétation inverse que la théorie de la délégation n'était pertinente que dans le cas où l'UE aurait adhéré à la CBE et que, par conséquent, le réglement actuel sur le brevet unitaire était basé sur une transformation. Cette interprétation pourrait tout à fait être correcte. Mais cela ne change rien.

En effet, les Avocats généraux ont fait référence pour la théorie de la transformation à l'arrêt de la Cour (grande chambre) du 3 septembre 2008 dans les affaires jointes C-402/05 P et C-415/05, qui affirme :

281. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Communauté est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité CE et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23).

282. Il convient de rappeler également qu’un accord international ne saurait porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à l’autonomie du système juridique communautaire dont la Cour assure le respect en vertu de la compétence exclusive dont elle est investie par l’article 220 CE, compétence que la Cour a d’ailleurs déjà considérée comme relevant des fondements mêmes de la Communauté (voir, en ce sens, avis 1/91, du 14 décembre 1991, Rec. p. I-6079, points 35 et 71, ainsi que arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande, C-459/03, Rec. p. I‑4635, point 123 et jurisprudence citée).

283. En outre, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. À cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, notamment, arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C‑305/05, Rec. p. I‑5305, point 29 et jurisprudence citée).

284. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le respect des droits de l’homme constitue une condition de la légalité des actes communautaires (avis 2/94, précité, point 34) et que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect de ceux-ci (arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec. p. I-5659, point 73 et jurisprudence citée).

285. Il découle de l’ensemble de ces éléments que les obligations qu’impose un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels du traité CE, au nombre desquels figure le principe selon lequel tous les actes communautaires doivent respecter les droits fondamentaux, ce respect constituant une condition de leur légalité qu’il incombe à la Cour de contrôler dans le cadre du système complet de voies de recours qu’établit ce traité.

316. En effet, ainsi qu’il a déjà été rappelé aux points 281 à 284 du présent arrêt, le contrôle, par la Cour, de la validité de tout acte communautaire au regard des droits fondamentaux doit être considéré comme l’expression, dans une communauté de droit, d’une garantie constitutionnelle découlant du traité CE en tant que système juridique autonome à laquelle un accord international ne saurait porter atteinte.

Tout comme pour la théorie de la délégation, cela signifie que lorsqu'un objet juridique — dans notre cas, un brevet européen délivré par l'OEB – est transformé dans l'ordre juridique de l'UE – pour devenir un brevet unitaire de l'UE – la conformité d'un tel objet juridique avec le droit de l'UE doit être contrôlée, dans les mêmes conditions que si cet objet juridique avait été directement créé par une agence de l'UE.

On peut déjà trouver une manière de respecter cette exigence, tant dans le cas d'une délégation que d'une transformation, dans l'article 2 de la CBC:

3. Le brevet communautaire a un caractère autonome. Il n'est soumis qu'aux dispositions de la présente convention et à celles des dispositions de la convention sur le brevet européen qui s'appliquent obligatoirement à tout brevet européen et qui de ce fait sont réputées constituer des dispositions de la présente convention.

Cela signifie que même si la délivrance de brevets communautaires en vertu des dispositions de la CBE est déléguée à l'OEB, ces dispositions sont soumises au même contrôle que si elles faisaient directement partie de la CBC.

Un amendement à la proposition actuelle de règlement sur le modèle de la disposition de la CBC ci-dessus à propos du caractère autonome du brevet unitaire pourrait fournir un moyen de satisfaire aux conditions exigées pour autoriser l'UE a déléguer la délivrance du brevet unitaire à l'OEB. Et un tel amendement est susceptible d'être largement accepté, étant donné qu'une disposition similaire sur le caractère autonome du brevet unitaire a été adoptée par le Conseil dans son orientation générale sur la proposition de règlement sur le brevet de l'UE (16113/09 Add 1):

3. Le brevet de l'UE a un caractère autonome. Sous réserve du paragraphe 4, il relève uniquement du présent règlement et des principes généraux du droit de l'UE. Les dispositions du présent règlement sont sans préjudice de l'application du droit de l'UE en matière de concurrence ou du droit des États membres concernant la responsabilité pénale, la concurrence déloyale et les fusions.
4. La CBE s'applique aux brevets de l'UE et aux demandes de brevets de l'UE dans la mesure où le présent règlement ne prévoit pas de règles spécifiques.

En outre, la Commission, dans son exposé des motifs de la proposition de décision du Conseil autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection unitaire par brevet (COM(2010) 790), a précisé que la nature autonome du brevet unitaire devrait faire partie des mesures de mise en œuvre envisagées de la coopération renforcée. Bien que cette promesse ne soit pas juridiquement contraignante, ne pas la respecter pourrait donner des motifs pour un recours contre le règlement sur le brevet unitaire. Par conséquent, la proposition actuelle devrait être amendée pour affirmer le caractère autonome du brevet unitaire, ainsi que le fait que les dispositions de la CBE utilisées par l'OEB pour exercer la délégation de pouvoirs lui permettant de délivrer des brevets unitaires devraient être réputées faire partie du règlement sur le brevet unitaire.

Nous proposons un ensemble d'amendements qui mettent notamment en œuvre toutes les corrections détaillées ci-dessus. L'amendement 1 supprime la référence à l'article 142 CBE afin de résoudre les deuxième et troisième objections soulevées ci-dessus. L'amendement 2 s'assure que l'article 118 TFUE est correctement appliqué, comme le détaille la première objection ci-dessus. L'amendement 3 met en œuvre le caractère autonome du brevet unitaire comme nous venons de le voir. En outre, d'autres amendements sont proposés afin de renforcer la certitude juridique du règlement vis-à-vis des traités de l'Union. Les amendements 4 à 6 proposent différentes alternatives pour clarifier certaines dispositions de la CBE relative au droit matériel des brevets. L'amendement 7 réaffirme la primauté du droit de l'Union quant aux limitation des effets du brevet unitaire. Les amendements 8 et 9, en cohérence avec la suppression de la référence à l'article 142 CBE, suppriment également les références aux articles 143 et 145 CBE, et demandent à ce que le Parlement européen soit plus impliqué dans la gouvernance et la surveillance des activités administratives déléguées à l'OEB. L'amendement 10 garantit que la délégation de pouvoir à l'OEB est limitée en conformité avec les exigences dégagées par la CJUE. L'amendement 12 s'assure que la primauté du droit de l'UE soit bien respectée. Enfin, l'amendement 13 associe le Parlement européen à la révision de ce règlement.

Conclusion

Le législateur de l'UE, et en particulier le Parlement européen, serait bien avisé de corriger les questions problématiques soulevées par le règlement sur le brevet unitaire, en adoptant des amendements dans la ligne de ceux que nous proposons, pour les raisons détaillées ci-dessus. Il semble qu'il n'existe pas d'alternative si l'on souhaite réellement qu'un brevet unitaire voie bientôt le jour. En outre, de tels amendements pourraient ouvrir la voie à un retour du système européen des brevets dans le giron de l'Union européenne, comme cela a été espéré et préconisé par les pères fondateurs de l'OEB7.

  • 1. À noter que l'avis motivé de la chambre des députés de la République d'Italie émet l'opinion que « la compétence attribuée à l'Union par l'article 118 apparaît dès lors, dans son objet et son but, comme une compétence exclusive de l'Union européenne. Sur la base de la jurisprudence de la Cour de justice, il convient toujours d'apprécier la nature d'une compétence de l'Union européenne et sa relation avec celle des États membres en fonction de la base juridique spécifique pertinente dans le cas d'espèce. Le fait qu'elle ne soit pas incluse dans les domaines de la compétence exclusive de l'Union visés à l'article 3, paragraphe 1, du TFUE et que ce même article fasse spécifiquement référence à la création et au fonctionnement du marché intérieur, qui constitue une des compétences partagées conformément à l'article 4 du TFUE, n'exclut pas par conséquent la qualification de la compétence visée à l'article 118 comme exclusive ». Quand bien même l'article 118 serait une compétence exclusive de l'UE, cela ne changerait en rien l'argumentaire ci-dessous et sa conclusion – que les États membres ne sont pas libres de conclure entre eux un accord particulier au sens de l'article 142 CBE – serait même renforcée.
  • 2. Nous traduisons.
  • 3. Le passage est surligné dans la version originale téléchargeable sur le site de la Commission.
  • 4. Nous traduisons.
  • 5. Nous traduisons.
  • 6. Voir Ullrich, Hanns, Harmonizing Patent Law: The Untamable Union Patent (March 22, 2012). HARMONISATION OF EUROPEAN IP LAW: FROM EUROPEAN RULES TO BELGIAN LAW AND PRACTICE, M.-Chr. Janssens, G. Van Overwalle, eds., Brussels (Bruylant) 2012, Forthcoming; Max Planck Institute for Intellectual Property & Competition Law Research Paper No. 12-03. Disponible sur SSRN: http://ssrn.com/abstract=2027920; Jaeger, Thomas, All Back to Square One? - An Assessment of the Latest Proposals for a Patent and Court for the Internal Market and Possible Alternatives (December 15, 2011). International Review of Intellectual Property and Competition Law (IIC), Forthcoming; Max Planck Institute for Intellectual Property & Competition Law Research Paper No. 12-01. Disponible sur SSRN: http://ssrn.com/abstract=1973518
  • 7. Voir J.B. van Benthem, The European Patent System and European Integration, IIC Vol. 24, N°4/1993, pp. 435-445; O. Bossung, The Return of European Patent Law in the European Union., GRUR Int. 1995, N°12, pp. 923-935; P. Braendli, The Future of the European Patent System, IIC Vol. 26, N°6/1995, pp. 813-828; C. Lees, Strategic Reflections on the European Patent Office, Patent Word, December 1995/ January 1996, pp. 24-29.; E. Armitage, EU Industrial Property Policy: Priority for Patents?, EIPR Vol.18, N°10/1996, pp. 555-558; J. Straus, The Present State of the Patent System in the European Union, European Commission, Luxembourg, 1997. ISBN 92-826-9555-7; etc.