Brevet unitaire européen : l'Association de promotion et de défense du logiciel libre et 400 entreprises « mobilisées contre le projet »,une dépêche AEF

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Après que le Parlement européen a décidé début juillet 2012, de reporter son vote en plénière sur le brevet unitaire et que sa commission des affaires juridiques (JURI) s'apprête donc à examiner à nouveau le dossier, l'AEF, agence de presse spécialisée, a publié trois dépêches faisant le point sur la situation actuelle. Avec l'aimable autorisation d'AEF, nous reproduisons ici la seconde dépêche relatant une interview de Gérald Sédrati-Dinet, conseiller sur les brevets pour l'April. Vous pouvez également retrouver un décryptage du processus législatif, ainsi qu'une révélation d'un rapport des services juridiques du Parlement.

Brevet unitaire européen : l'Association de promotion et de défense du logiciel libre et 400 entreprises « mobilisées contre le projet »

Anne Roy
Domaine : Recherche et Innovation
Rubriquage : Actualité - International - Propriété intellectuelle - Union européenne

« Pour April (Association de promotion et de défense du logiciel libre), la mobilisation contre le projet de règlement sur le brevet unitaire européen se focalise autour de la question des brevets logiciels qui sont la pire menace qui puisse peser sur le logiciel libre. » C'est ce que déclare à AEF, vendredi 7 septembre 2012, Gérald Sédrati-Dinet, chargé de suivre les négociations sur le brevet unitaire pour cette association fondée en 1996 qui se définit comme « un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du logiciel libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l'espace francophone ». « Les brevets logiciels sont interdits dans le droit européen, même si l'OEB (Office européen des brevets) continue d'en accorder depuis une vingtaine d'années », rappelle l'ingénieur qui suit ce dossier pour April depuis dix ans. « Or, quand on développe un logiciel, on combine une multitude de 'briques' mathématiques qui, si elles sont brevetées, ne peuvent plus être agencées. Dans le domaine du logiciel libre, il s'agit de petites entreprises qui la plupart du temps n'ont pas les moyens de payer, ni d'utiliser des licences croisées comme le font les grosses sociétés comme Apple ou Samsung. »

La convention sur les brevets européens, ou convention de Munich, ratifiée en 1973, définit entre autres comme non brevetables les logiciels, « pour peu que les brevets portent sur ces derniers en tant que tels ». « Et l'OEB a une interprétation de ce point qui est selon nous contraire à l'esprit du texte », développe Gérald Sédrati-Dinet, rappelant qu' « en 2003, un projet de directive sur la brevetabilité des logiciels a tenté de modifier ce point mais a été rejeté en 2005 par le Parlement ».

April a ainsi initié une pétition qui, le 13 septembre 2012 est signée par 460 entreprises européennes mobilisées contre « le brevet logiciel et le projet de brevet unitaire ».

« UNE INSTANCE INDÉPENDANTE DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES »

« Nous sommes préoccupés du fait que le règlement sur le brevet unitaire, selon l'accord obtenu en décembre 2011 par les négociateurs du Conseil, de la Commission et de la commission des affaires juridiques du Parlement européen, abandonne toute question à propos des limites de la brevetabilité à la jurisprudence de l'OEB, sans contrôle démocratique, ni recours devant un tribunal indépendant », fait valoir le texte. « Nous incitons vivement les législateurs à adopter des amendements qui énoncent clairement que les décisions de l'OEB sont sujettes à un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne et réaffirment le rejet des brevets logiciels, rejet que le Parlement européen a exprimé dans ses votes du 24 septembre 2003 et du 6 juillet 2005. »

« Nous ne sommes pas opposés au brevet unitaire dans l'absolu », précise néanmoins le conseiller. « Il peut se révéler plus simple, peut-être moins coûteux, porter une conception plus fédéraliste que l'actuel OEB. Mais nous sommes mobilisés contre le brevet logiciel et nous sommes également contre le projet de donner plus de pouvoir à une instance qui ne dépend pas des institutions européennes. »

Le projet actuel de brevet unitaire consiste en un « paquet », composé de trois textes : un règlement qui met en place un système de protection du brevet unitaire ; un second règlement qui détermine le régime linguistique du brevet unitaire ; et un accord international pour créer une juridiction unifiée en matière de brevets. Or, le 29 juin 2012, à l'occasion du Conseil européen, les chefs d'État de l'UE ont décidé de retirer du premier volet, pourtant adopté en décembre 2011 dans un « trilogue » (concertation préalable tripartite) avec le Parlement et la Commission, trois articles (6, 7 et 8) qui renforcent encore l'indépendance de la juridiction des brevets à l'égard de la Cour de justice de l'UE (AEF n°168965 et 169446) et notre décryptage : n°171462). Cette juridiction est composée de juges spécialisés en brevet, salariés de l'OEB, lequel se finance sur les taxes sur les brevets qu'il délivre.

Pour Gérald Sédrati-Dinet, c'est « aussi pour une question de gouvernance » que l'Espagne et l'Italie sont restées en dehors du processus de coopération renforcée pour la mise en place d'un brevet unitaire. Les deux pays ont d'ailleurs déposé un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne qui sera étudié le 25 septembre 2012 au Luxembourg. « Officiellement, ils ne se sont pas joints pour des considérations linguistiques [les seules langues reconnues par le règlement sur le brevet étant l'allemand, l'anglais et le français]. Mais implicitement ils ne veulent pas donner trop de pouvoir à une entité supranationale pour déterminer les règles de concurrence. »

LEWIATAN, L'ORGANISATION PATRONALE POLONAISE, CONTRE LE PROJET

Pour lui, la problématique vaut aussi pour les « États considérés comme 'petits' lors des négociations, comme la Pologne ». Dans ce pays, rappelle-t-il, les entreprises n'ont qu'un millier de nouveaux brevets à prendre en compte chaque année et redoutent un afflux massif de brevets en cas d'adoption du brevet unitaire ».

Un article intitulé « Pourquoi nous ne voulons pas du brevet unitaire européen », paru fin août 2012 dans « Polityka » (« le principal hebdomadaire polonais », selon « Le Courrier international »), cite la position de Henryka Bochniarz, présidente de l'organisation patronale polonaise, Lewiatan : « L'organisation du patronat Lewiatan appelle à ne pas soutenir le brevet unitaire. » L'article cite également Krzysztof Ostrowski, directeur d'intervention au BCC (Business Center Club) qui redoute « une augmentation des dépenses de traduction » et « un climat d'incertitude car les brevets ne seront plus publiés en polonais ». Pour autant, le Premier ministre polonais Donald Tusk, en appelle à « montrer à nos citoyens et entrepreneurs que nous sommes en mesure de négocier une solution favorable » et à soutenir le projet.

Dans le projet actuel, le déposant n'a plus à traduire son brevet dans chacune des langues des pays où il souhaite protéger son invention comme c'est le cas actuellement avec l'OEB. Mais, fait remarquer Gérald Sédrati-Dinet, « l'ensemble des acteurs économiques doit comprendre ce que contiennent les brevets, donc les traduire : il ne s'agit donc pas d'une économie. Les coûts de traduction se déplacent puisque ce n'est plus le détenteur qui traduit, mais les autres entreprises. »

UN PROJET IMPORTANT POUR L'IMAGE DE L'UNION EUROPÉENNE

« Même au sein de Business Europe, la confédération des représentations patronales européennes, qui soutient le projet de brevet unitaire, certains expriment des doutes, effrayés par les procès gigantesques qui ont lieu aux États-Unis et par la prolifération des 'patent trolls', ces entreprises qui rachètent des portefeuilles de brevets et lancent des procès », ajoute Gérald Sédrati-Dinet. Pour lui, « le soutien à ce projet n'est pas si unanime, même si l'opposition est timide : peu de voix portent autant que la machine institutionnelle de la Commission européenne ».

« Le projet est en cours depuis plus de soixante ans », analyse-t-il. « Michel Barnier [commissaire européen au Marché intérieur et aux Services financiers] veut être 'celui qui l'aura finalisé'. Et dans le contexte d'affaiblissement de l'UE, il est également important en termes d'image d'aboutir sur un brevet unitaire. Jusqu'à décembre 2011, tout donc est allé très vite, comme l'ont relevé dans une tribune [publiée (en accès libre) sur 'Mediapart'] Michel Rocard et Daniel Cohn-Bendit. »

Au Parlement européen, « les députés sont paralysés par l'aspect technique du dossier et ils ont été échaudés par l'échec de la directive en 2005 qui a été rejetée à la quasi-unanimité », reprend le militant d'April. « Ils abandonnent donc le sujet aux quelques négociateurs de la commission juri (affaires juridiques), laquelle est présidée par Klaus-Hainer Lehne, un allemand du PPE. Comme l'avait rapporté la presse1, ce dernier est conseiller pour un cabinet en propriété intellectuelle de Düsseldorf, Taylor Wessing. Il est également rapporteur pour le troisième volet du 'paquet brevet', sur la juridiction. »

D'après lui, les députés du PPE sont « menés par les Allemands, très favorables au brevet ». « On observe le même phénomène du côté des députés S&D (sociaux et démocrates), menés par le rapporteur pour la législation principale sur le brevet, l'Allemand Bernhard Rapkay », ajoute-t-il avant de préciser que « seuls les députés des Verts ont repris les amendements suggérés par April. »

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  • 1. voir à ce sujet l'article de « Reuters » en date du 18 mars 2011.