Réunion du Conseil du 30 mai 2011 : des nuages menacent le ciel bleu du brevet unitaire

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Lundi 30 mai 2011, lors d'une session du Conseil, les ministres et représentants des États membres ont eu pour la première fois un échange de vues sur les propositions de la Commission concernant le brevet unitaire, ainsi que sur son document informel à propos de la juridiction. Bien que cette réunion ait été plutôt ennuyeuse, les orateurs répétant peu ou prou les mêmes platitudes, certaines critiques sur les principaux défauts des propositions ont émergées dans les interventions des représentants français et luxembourgeois. Mais le principal événement de cette réunion – celui qui a retenu l'attention des médias, a sans aucun doute été l'annonce officielle par l'Espagne et l'Italie que les deux pays, qui sont les seuls États membres à avoir refuser de légiférer sous le régime de la coopération renforcée, avaient déposé un recours à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) précisément contre la décision du Conseil de lancer cette coopération renforcée.

Pour faire court, ce que la plupart des États membres ont répété pendant presque deux heures peut se résumer à un accord global avec les propositions de la Commission, telles qu'amendées par la présidence hongroise1. La principale modification effectuée par ces amendements est le refus de la part des États membres de déléguer des pouvoirs à la Commission pour définir le niveau des taxes de renouvellement et leur répartition entre les offices de brevets nationaux.

Le niveau des taxes de renouvellement et leur clé de répartition est en fait une cause majeure des dysfonctionnements dans la gouvernance de l'Office européen des brevets (OEB), comme cela a été dénoncé à maintes reprises par le propre personnel de l'OEB2. Tout comme Thierry Sueur3 a déclaré à propos de la concurrence sur les taxes de renouvellement entre les offices de brevets nationaux au sein du Conseil d'administration de l'OEB : « Je suis convaincu que la manière dont l'OEB est dirigé aujourd'hui (par le Conseil d'administration) est telle que cela signifiera soit la mort de l'OEB, soit sa transformation en vache à lait. », on peut supposer que de tels débats pourraient diviser les États membres pour la création du brevet unitaire.

Mais le point le plus frappant par rapport à la précédente réunion du Conseil, qui s'est tenue en mars 2011, réside dans la reconnaissance unanime des 27 États membres, ainsi que de la Commission, que la création du brevet unitaire, les arrangements concernant les traductions et la mise en place d'une juridiction unifiée devaient être compris dans le même paquet politique. En mars, la Commission avait tenté de présenter le brevet unitaire et sa juridiction comme deux dossiers distincts. Mais à cette époque, il s'agissait de pousser le Conseil à lancer la coopération renforcée pour la création du brevet unitaire, alors que les travaux sur la juridiction unifiée venaient d'être enterrés par la Cour de justice de l'Union européenne.

Bien qu'une forte majorité d'États membres aient diplomatiquement indiqué leur accord pour continuer à travailler sur la juridiction unifiée, à partir du document informel de la Commission, il semblerait qu'il reste un long chemin à parcourir avant qu'ils ne parviennent à un accord sur les bases d'une telle juridiction. L'oratrice la plus convainquante ayant mis le doigt sur les problèmes soulevés à cet égard, a été Mme Michèle EISENBARTH, représentante permanente pour le Luxembourg :

Merci monsieur le président. Je remercie la présidence pour tous les efforts qu'elle a déployés dans ce dossier et je peux donner mon assentiment au règlement sur la création d'un brevet à effet unitaire et celui concernant le régime linguistique. Plusieurs délégations l'ont déjà dit : le brevet, il ne pourra pas être mis en musique sans son volet juridictionnel. Et j'aimerais commencer par affirmer que nous souhaitons doter le brevet d'un système juridictionnel efficace et robuste, à la fois d'un point de vue institutionnel et juridique, et bien évidemment en plein accord, en plein respect avec l'avis de la Cour de justice de l'Union européenne.
J'aimerais aussi rappeler que le Luxembourg a toujours eu des doutes quant à la compatibilité avec les Traités de la juridiction du brevet européen et du brevet communaitaire, sur lequel nous avons demandé l'avis de la Cour de justice en 2010. Et que c'est sous cette réserve, que nous avons été prêts à accepter sous présidence suédoise les conclusions de décembre 2009.
L'avis de la Cour a récemment été rendu et il conclut à l'incompatibilité avec les Traités. L'option, qui est préconisée par la Commission dans son document qu'elle nous soumet, ne nous semble pas répondre au problème de fond que soulève la Cour de justice, à savoir : la préservation de la compétence des juridictions des cours nationales dans l'interprétation et l'application du droit de l'Union. Et nous ne manquerons pas de soulever toute une série de questions à ce sujet dans les travaux à venir.
Nous regrettons que la Commission ait écarté les deux autres options dont nous disposons pour conférer au système du brevet son système juridicitonnel. Tout d'abord, il nous est possible d'attribuer à la Cour de justice de l'Union européenne de régler les litiges relatifs au brevet à effet unique et relatifs au brevet européen classique. Et cela sur base de l'article 262 du Traité et au moyen d'un accord international. Et puis deuxièmement, nous pourrions aussi prendre le modèle juridictionnel qui existe pour les marques.
Donc en conclusion, monsieur le président, nous souhaiterions que les trois options possibles restent sur la table des travaux et que chacune d'elles, à la lumière de l'avis de la Cour de justice, soit pensée jusqu'à la fin et les avantages, respectivement les inconvénients, de chacune de ces trois options, élucidés. Merci monsieur le président.

Dans son document informel, la Commission a proposé de créer une juridiction unifiée au moyen d'un accord international entre les États membres uniquement, les pays tiers signataires de la Convention sur le brevet européen (CBE) mais qui ne font pas partie de l'UE, ainsi que l'UE elle-même, ne seraient pas parties à cet accord. Les États membres assumeraient collectivement la responsabilité du respect du droit de l'UE par ce tribunal international, au moyen de renvois préjudiciels devant la CJUE, et seraient susceptibles d'être sanctionnés collectivement en cas de violation du droit de l'UE. On peut en effet remettre en cause le fait que la solution proposée soit suffisante pour répondre aux incompatibilités avec les Traités, telles que soulevées dans l'avis de la CJUE.

M. Philippe LEGLISE-COSTA, représentant permanent pour la France, a donné plus de détails à ce sujet :

Merci beaucoup monsieur le président, nous vous remercions vivement pour les efforts importants que vous consentez sur ce dossier majeur et nous espérons qu'il sera possible de trouver un accord d'ici la fin du mois de juin. Nous devons utiliser tout le temps disponible d'ici la fin de ce mois pour procéder aux clarifications nécessaires et trouver les solutions aux questions pendantes afin de garantir la solidité juridique de l'ensemble du dispositif.
S'agissant du règlement créant la protection unitaire, nous soutenons dans l'ensemble vos propositions. Il nous semble que des discussions techniques sont encore nécessaires sur trois points.
Premier point, la mise en œuvre du règlement dans le cadre de l'OEB, c'est-à-dire le mécanisme de l'article 12 du projet de règlement. Comme vous le savez, ce mécanisme prévoit que ce sont les États membres qui, en leur qualité de parties contractantes à la Convention sur le brevet européen, confieront à l'Office les tâches additionnelles pour l'administration de l'effet unitaire du brevet européen et prendront les mesures de portée générale à cet effet. C'est donc un dispositif qui fait obligation aux États membres de prendre collectivement dans une enceinte extérieure à l'Union des mesures nécessaires à la mise en œuvre d'un acte de l'Union. C'est évidemment prévu par le Traité à l'article 291, mais lorsque des conditions uniformes d'exécution des actes sont nécessaires, ces mesures doivent alors être prises par des institutions de l'Union. Nous devons donc vérifier, avec l'aide du service juridique du Conseil et de la Commission, si de telles conditions uniformes ne sont pas requises pour garantir la bonne mise en œuvre du règlement sur le territoire de l'ensemble des États participant à la coopération renforcée.
Deuxième point, le lien entre les règlements et le système juridictionnel. Nous reconnaissons bien sûr ce lien politique. Nous devons néanmoins préciser sa formalisation juridique. Nous devons en effet, selon nous, éviter de mettre en place un dispositif qui fait dépendre l'entrée en vigueur de règlements de l'Union d'un autre instrument dont nous ne connaissons à ce stade ni le contenu, ni le calendrier d'adoption. C'est une question de rédaction.
Troisième point sur les taxes de renouvellement. Deux principes devraient nous guider, selon nous : d'une part, mettre en place un dispositif qui garantisse que, en tant que parties contractantes de la Convention, nous puissions pleinement assumer les obligations qui sont les nôtres au regard des coûts des tâches additionnelles que nous confieront à l'OEB. Il y a donc un travail de rédaction technique pour assurer la bonne articulation entre le règlement et les articles 146 et 147 de la Convention. D'autre part, nous devons rester fidèles, cela a été dit, à ce dont nous étions convenus dans les conclusions adoptées par le Conseil en décembre 2009, en ce qui concerne les critères à prendre en compte pour la clé de répartition.
S'agissant du système juridictionnel, la France est disposée à examiner la solution privilégiée dans son non-papier par la Commission, qui vise à créer une juridiction commune aux États membres. Cette proposition soulève toutefois, elle aussi, des questions importantes. Il conviendra de l'examiner avec attention, afin de garantir la compatibilité du dispositif avec les conditions fixées par la Cour de justice dans son avis du 8 mars. Nous estimons en particulier qu'il faut veiller au respect de deux principes fondamentaux.
Premièrement, que soient apportées toutes les garanties nécessaires au respect du droit de l'Union. Cela suppose en premier lieu que la Cour de justice puisse se prononcer aussi souvent que nécessaire. À cet égard, nous devons réfléchir aux modes de saisine qui, outre le nécessaire renvoi préjudiciel, pourraient s'avérér appropriés. La France, comme d'autres États membres, avait fait des observations sur ce point devant la Cour. En second lieu, cela suppose que toute violation éventuelle du droit de l'Union puisse faire l'objet de procédures efficaces. Nous devons encore préciser comment peuvent fonctionner les procédures collectives de manquement et d'indemnisation évoquées dans le non-papier de la Commission.
Deuxième principe, il faudra également veiller à ce que les compétences de l'Union, à l'aune de l'acquis communautaire pertinent et de la jurisprudence AETR, soient pleinement respectées lorsque sera élaboré le futur instrument.
Il nous semble que ces éléments et principes devraient être reflètés dans le projet d'accord que nous devrons examiner le moment venu avec attention et avec l'aide du service juridique du Conseil. Je vous remercie.

La précision la plus intéressante dans cette intervention se trouve dans l'avant dernier paragraphe, avec la référence à la « jurisprudence AETR ». Il s'agit d'une affaire relative à l'Accord européen sur le transport routier, pour laquelle la CJUE a établit qu'« une compétence, qui au départ n'a pas été attribuée à la Communauté de façon exclusive, peut le devenir au fur et à mesure de son exercice par la Communauté. Dans le cas d'espèce, la mise en œuvre de la politique commune des transports par la Communauté, en instaurant des règles communes à caractère interne (adoption d'un règlement), a eu comme effet l'exclusion d'une compétence concurrente des États membres dans toute l'étendue du domaine des transports ». Cet arrêt déterminant du 31 mars 1971 a posé plusieurs principes clés de la construction européenne : la subsidiarité et la primauté du droit européen sur le droit national.

Ramenée au contexte de la juridiction proposée pour les brevets unitaires, cette référence soulève l'incompatibilité potentielle avec les principes fondamentaux du fait que l'UE ne soit pas partie à l'accord. Si le représentant français a soulevé de telles objections de manière fort diplomatique, M. Vincenzo GRASSI, représentant permanent pour l'Italie, a été plus s'est exprimé beaucoup plus franchement :

Merci monsieur le président. Nous ne ferons pas de commentaire sur le premier règlement mais, au nom du gouvernement italien, je peux vous annoncer que nous avons déposé auprès de la Cour un recours en annulation de la décision de mars dernier autorisant une coopération renforcée. Nous espérons que la Cour, qui s'est déjà exprimée très clairement dans son dernier avis, fera en sorte d'annuler cette décision qui risque de diviser l'Europe. Nous, ce qui nous intéresse, ce sont les aspects juridictionnels, tels qu'ils sont envisagés dans le document de la Commission. Donc je pense que c'est sans doute l'élément fondamental pour les petites entreprises. Ce qui les intéresse c'est sans doute la sécurité ou la certitude juridique plutôt que les litiges linguistiques. Nous ne pouvons pas accepter que l'on retienne cette option. Nous ne comprenons pas pourquoi la Cour ne pourrait pas avoir une juridiction sur les brevets classiques. Bien au contraire, avec les instruments juridiques pertinents et bien ce serait tout à fait faisable. Le législateur pourrait reprendre la base juridique prévue dans les Traités, à savoir l'article 262, pour tenir compte du secteur européen qui veut un système juridictionnel spécialisé et unifié. Et, de plus, on pourrait reprendre le modèle que l'on a déjà pour la marque communautaire. Et on pourrait aussi imaginer la constitution par le biais d'accords internationaux d'un organe commun aux États membres, mais à condition qu'on ne s'éloigne pas de ce que propose la Cour et que l'on ait, comme le propose la Commission, un mécanisme totalement différent. Donc, pour nous, il nous est difficile de nous lancer dans un débat sur base du document de la Commission, parce que nous avons d'énormes doutes quant à la légalité de cette proposition de la Commission. La Commission propose un accord entre États membres, l'Union et les États tiers ne participeraient pas. On aurait donc une base identique à ce qu'a rejeté la Cour de justice. Nous avons le paragraphe 82 de l'avis de la Cour et je pense que c'est en fait l'interprétation qui est donnée qui est totalement dissociée. Et la Cour de Luxembourg se repose sur l'activité des juges nationaux. Ce qui est proposé par la Commission est assez différent, puisqu'aucun rôle n'est attribué aux juges nationaux. La division régionale, nationale et Cour d'appel, enfin non. Ces juges auraient un statut internationnal. Ils seraient dotés de compétences qui excluent toute compétence pour les juges nationaux. Donc, au delà de ces différences entre ce qui est proposé par la Cour et ce qui est proposé par la Commission, n'oublions pas que dans l'avis, la Cour insiste sur le rôle des juges nationaux dans le système juridictionnel européen. Les juges sont les premiers gardiens de l'ordre juridique communautaire. Et on ne peut pas les priver de ces compétences sur base d'un accord international. Cela reviendrait à chambouler totalement la nature du système en place. Par ailleurs, la Commission affirme qu'avec sa proposition, on respecte les deux conditions de l'avis : tout d'abord, obligation pour l'État membre de compenser les frais encourus par un individu et, deuxièmement, l'obligation qui est faite par l'ordre communautaire, de répondre en cas d'infraction. Je pense que, d'après la Commission, ces deux conditions seraient respectées, parce que l'activité des juges serait solidaire et je pense qu'en anglais, on parle de "jointly" dans l'avis de la Commission. Mais nous n'avons pas d'indication quant à la façon dont ceci pourrait fonctionner par rapport à un organe qui n'aurait pas les fonctions ou la nature de juge national. Et puis, point fondamental, la Commission estime que dans sa solution, il faudra modifier l'acquis communautaire. Effectivement, mais je pense qu'au delà d'amendements, il s'agit inévitablement de révoquer toute une série de normes communautaires pour que l'accord intergouvernemental ne soit pas incompatible avec l'acquis. Mais, plus important, c'est dans un processus de désharmonisation qui s'enclenche. Donc, en définitive, cet accord entre gouvernements proposé par la Commission, et je pense que ceci a été dit par le Luxembourg, suscite davantage de problèmes et de doutes qu'il ne propose de solutions. C'est vrai que ces solutions, vu l'avis de la Cour, doivent se trouver dans la légalité et la compatibilité avec les Traités.

Outre l'annonce officielle du recours auprès de la CJUE, le principal point de l'intervention du représentant italien est que la juridiction proposée par la Commission penche vers une orientation en dehors du cadre de l'UE, ce qui est précisément ce que la CJUE critiquait dans son avis. Et M. Diego LÓPEZ GARRIDO, secrétaire d'État aux affaires européenne auprès du ministre des affaires étrangères et de la coopération en Espagne, a renchéri sur ce point :

Merci monsieur le président. Alors, vous le savez, l'Espagne, avec l'Italie, sera sans doute l'un des seuls à s'opposer à ce qui est proposé. Je voudrais donc vous demander votre indulgence quant au temps qui m'est imparti.
Je voudrais commencer en vous disant que ce matin, le gouvernement espagnol a présenté un recours en annulation contre la décision de coopération renforcée adoptée par le Conseil et ceci a été présenté à la Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg. Nous considérons que cette décision, comme nous avons eu l'occasion de le dire, va à l'encontre du droit européen, qu'il s'agit ici d'une infraction importante, qu'il s'agit d'une discrimination puisque la langue espagnole, comme d'autres d'ailleurs, n'aura pas le même statut linguistique que le français, l'allemand ou l'anglais. Et, j'ai déjà eu l'occasion de vous expliquer ce qu'il en est, on ne nous a pas justifié cette discrimination. Par ailleurs, ceci va à l'encontre de la logique intégratrice de l'Union européenne. Dès lors, nous sommes contre les règlements qui sont dérivés de cette décision. Et, c'est aussi prévisible, nous serons contre leur adoption et, s'ils devaient être adoptés, nous lancerions un recours contre ceux-ci.
Dans ces règlements que nous examinons aujourd'hui, nous voyons très clairement les choses. C'est aussi le cas pour ce qui concerne le non-paper de la Commission sur la juridiction. Nous voyons très bien qu'on sort complètement des clous du droit européen.
Alors on a mentionné Dickens ici ou là dans les délégations, moi je voudrais mentionner Andersen, figurez-vous. Les contes d'Andersen pour ce qui concerne la petite vendeuse aux allumettes. Vous le savez lorsqu'elle [gratte une allumette, le monde se transforme] 4. Et bien là, c'est pareil. On voit très bien que voilà, la construction européenne se dirige vers quelque chose qui lui est parfaitement étranger, qui est lié à différentes choses, des conventions européennes qui sont hors du droit européen, mais qui n'ont plus rien à voir avec l'Union européenne en soi.
Pour ce qui concerne la proposition de la Commission sur la juridiction, le règlement sur les brevets, c'est pareil : on s'écarte tout à fait de ce qui a été acquis en 2009. On se retrouve avec un brevet qui finalement n'est pas un brevet de l'Union européenne, qui est finalement un brevet de la Convention de Munich. Et pour ce qui concerne ce débat concernant les redevances, et bien là aussi, on va en discuter plutôt au sein de la Convention de Munich, mais pas au sein de l'Union européenne. Or la Convention de Munich, ça relève du droit international. Et à la Convention de Munich, l'Union européenne n'est pas partie parce que tout simplement il ne serait pas acceptable que ce soit le cas. Par conséquent, la Commission n'a aucune compétence à l'égard de cette Convention de Munich.
En outre, il y a la question de la base juridique. Parce que la base juridique, ce n'est pas le 118 ou 3265 du TFUE, mais 142 de la Convention de Munich, qui n'est toujours pas du droit communautaire que je sache.
S'agissant de la juridiction, le non-paper de la Commission que nous dit-il ? Sans aucune explication, la Commission nous dit qu'elle préfère la solution la moins européenne de toutes. C'est-à-dire une juridiction ad hoc qui n'a rien à voir avec l'ordre juridique européen. Ceci va tout à fait à l'encontre de l'avis de la CJCE. La Cour de justice, dans son avis 1/09, indique que la juridiction doit être intégrée dans le système institutionnel et juridictionnel de l'Union européenne. C'est-à-dire ou bien tribunal national, ou bien Cour de justice à Luxembourg. Alors là, on nous propose un tribunal, une cour ad hoc et ça n'est pas du tout la même chose que la Cour de Luxembourg. Finalement, on est dans une entreprise de décommunautarisation de choses qui sont déjà communautarisées. On ne nous dit pas très bien comment on va faire, mais voilà ce qu'on nous dit. Ceci va tout à fait à l'encontre de la logique d'intégration de l'Union européenne.
Comment allons-nous appliquer les choses ? Comment allons-nous interpréter le droit européen ? Et comment une juridiction qui ne fait pas partie de l'ordre juridique de l'Union européenne va-t-elle pouvoir interpréter ce droit ? On aura toujours affaire à une cour qui ne fait partie de l'Union européenne et de son ordre juridique. Alors ceci me conforte dans les doutes que j'avais et conforte les doutes qui ont été exprimés par d'autres délégations. Il s'agit d'une disposition qui est tout à fait différente, d'une juridiction qui n'est pas liée à l'Union européenne, qui est tout à fait à l'écart de la Cour de justice de l'Union européenne et qui ferme les yeux sur toutes les exigences constitutionnelles nationales. Parce que l'accord de 2009 dit l'inverse. On dit très clairement en anglais que c'est "due regard" : il faut prendre dûment en considération les exigences constitutionnelles des États membres. Or là, on délègue la juridiction à une cour qui n'a aucun lien, ni avec le niveau national, ni avec le niveau de l'Union européenne. Alors, je ne comprends pas très bien comment on pourrait attribuer ce genre de compétences à des organes non communautaires.
En outre, du point de vue linguistique, il y a une discrimination patente. L'avis de la Cour de justice n'est pas rentré dans ce débat, je vous le concède. Toujours est-il que, comment allons-nous faire ? Nous allons avoir des juges différents qui vont utiliser une langue ou l'autre, mais ceci va tout à fait à l'encontre des exigences juridiques.
Alors j'aimerais comprendre pourquoi on s'est engagé dans cette voie. Alors, évidemment, l'idée c'est de faire l'économie de l'unanimité. Or, pourtant l'unanimité est écrite noir sur blanc comme règle pour ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle. Et la Commission, avec ses propositions, a cherché à sortir de cette exigence d'unanimité et donc à sortir du droit européen. Je voudrais plaider instamment pour que l'on revienne à la logique communautaire, que l'on revienne à des négociations dont on savait très bien que si on s'engageait dans celles-ci, avant même d'avoir une idée de la juridiction, et bien ce serait difficile. On ne sait pas ce qu'il va advenir du système juridictionnel ultérieurement. Et on a une base juridique on ne peut plus faible avec ce genre de document. Une base juridique vaguement fondée sur le non-document de la Commission. Comment allons-nous aboutir à un vrai brevet de l'Union européenne? Un vrai brevet de l'Union européenne c'est à 27, c'est pas à 25. C'est ça que, nous, nous voulons et clairement ce n'est pas la voie que nous avons choisie aujourd'hui avec ce document.

Quel parfait inventaire des questions sur lesquelles les propositions de la Commission s'éloignent du cadre institutionnel, juridique et juridictionnel de l'Union en passant le bébé à l'OEB !

Malheureusement les citoyens anglophones qui auraient écouté la traduction fournie par les services du Conseil ne l'auront pas entendu tel que prononcé par le secrétaire d'État espagnol. En effet la traduction automatique en anglais fournie par les services du Conseil fait plutôt apparaître M. LÓPEZ GARRIDO comme un illuminé proférant des paroles sans queue ni tête. Ainsi nous avons nous-même traduit son intervention pour nos lecteurs anglophones en nous basant sur la retranscription française, beaucoup plus fidèle à l'original. Nous aborderons spécifiquement ce point dans un prochain article sur ce site…

Au final, en ce qui concerne la proposition de juridiction, pourquoi la Commission a-t-elle choisi « la solution la moins européenne de toutes » ? La réponse a été donnée par le commissaire Barnier en personne durant cette réunion du Conseil : « Il nous faut choisir la juridiction qui correspond vraiment aux intérêts des usagers. […] Il est, monsieur le président, tout à fait indispensable que le Conseil envoie maintenant un signal clair à l'ensemble des utilisateurs du système des brevets. ». La raison est que ce choix est destiné à satisfaire les intérêts des utilisateurs du système des brevets.

Il s'agit là d'un manquement majeur de la part d'un organe régulateur. Un brevet est un titre juridique très puissant offrant à son détenteur un monopole – temporaire – lui permettant d'exclure la concurrence. Les utilisateurs du système des brevets sont les détenteurs des brevets. Leur intérêt premier est d'obtenir l'exclusion la plus large possible portant sur le plus d'objets brevetables possibles. Afin de contrebalancer cette exception à la libre concurrence, la société s'attend à un gain, de par la divulgation et l'incitation à l'innovation. Ainsi, le rôle de la Commission européenne, et plus encore celui du législateur de l'UE, i.e. le Conseil et le Parlement européen, devrait être de garantir que les intérêts de la société et de l'économie de l'UE dans leur ensemble soient préservés. Au lieu d'écarter des options parce que, comme c'est écrit noir sur blanc dans le document informel de la Commission : « les deux premières options ne répondraient pas […] aux intérêts des utilisateurs du système de brevets. […] C'est l'une des raisons pour lesquelles les utilisateurs du système de brevets sont opposés à une telle solution. […] Les utilisateurs du système de brevets ont constamment exprimé leur vive opposition à une telle solution. […] Dans l'intérêt des utilisateurs du système de brevets », etc., toute juridiction compétente sur les contentieux liés aux brevets devrait être capable de prendre en compte non seulement le droit des brevets, mais également d'autres sources juridiques potentiellement conflictuelles, telles que le droit de la concurrence ou les droits et libertés fondamentaux.

Le « microcosme des brevets » a réagi à la décision de la CJEU sur l'incompatibilité envers les Traités de l'accord envisagé à propos d'une juridiction unifiée pour les brevets, en interprétant avec justesse cet avis comme l'obligation d'une supervision par la CJUE. Et ils ont hurlé que cela entraînerait « des résutats imprévisibles du fait du manque d'expérience en matière de brevets de la part des juges [de la CJUE] »6. Mais toute la question est là : le législateur de l'UE ne peut pas laisser aux seuls juges sélectionnés par le microcosme des brevets le soin de rendre des sentences dans le sens attendu par ce même microcosme. Cela nuirait à toute l'économie et aux citoyens de l'UE.

Pour conclure, nous encourageons le Parlement européen et le Conseil à répondre favorablement à la demande du Luxembourg et à peser les avantages et inconvénients de chaque alternative possible pour la mise en place une juridiction appropriée, avec comme premier objectif d'apporter un contre-pouvoir à la validité des brevets délivrés par l'OEB. Et en ce qui concerne le règlement sur la création du brevet unitaire, nous avons proposé un ensemble d'amendements, visant à redonner plus de pouvoir aux institutions de l'UE, par exemple en incluant explicitement le droit matériel des brevets dans l'acquis communautaire.

  • 1. Ces amendements ont été repris en commentaires du texte original sur ce site.
  • 2. Comme listé dans les critiques de la gouvernance de l'OEB: « Il existe une forte présomption au sein du personnel que les bénéfices financiers des États membres, provenant des taxes de renouvellement, encouragent le Conseil d'administration, et par cons"quant l'administration de l'OEB, a se concentrer davantage sur la quantité plutôt que sur la qualité des brevets octroyés. ».
  • 3. Président du groupe de travail sur les brevets de Business Europe, un lobby des entreprises européennes qui ne cache pas sa volonté d'influencer le Conseil et la Commission dans un certain nombre de dossiers, dont celui du brevet unitaire : « BUSINESSEUROPE demande à être fortement impliqué dans les débats de fond sur les propositions qui suivront [l'autorisation de coppération renforcée dans le domaine du brevet unitaire]. ».
  • 4. La traduction française offerte par les services du Conseil dit que lorsqu'elle « tombe amoureuse, finalement elle se transforme », ce qui n'est pas tout à fait conforme au conte original.
  • 5. La version française produite par les services de traductions du Conseil indique ici l'article 126 qui n'a aucun rapport avec le dossier en cours. Il s'agit manifestement d'une erreur, ce que confirme l'écoute de la version orginale espagnole.
  • 6. Voir http://www.eplawpatentblog.com/2011/April/Pagenberg%20New%20Hopes.doc (en anglais), que nous avons commenté sur ce site.