Brevet unitaire, une politique de l'autruche européenne

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Le 30 mai 2012, le conseil Compétitivité de l'Union Européenne devait débattre du projet de brevet unitaire. Si le contenu des débats n'est pas connu, le résultat de cette discussion - l'absence de toute prise de décision commune - souligne à quel point ce dossier, mal ficelé, reste problématique. L'April renouvelle donc son appel au gouvernement et à Fleur Pellerin à rejeter le texte actuel. Elle demande également que le contenu des débats soit publié pour que toute la lumière soit faite sur les dangers du dossier.

Le brevet unitaire est un projet de la Commission européenne de création d'un titre de brevet unique pour 25 pays membres de l'UE, avec une juridiction unifiée qui serait seule responsable des litiges sur les questions de brevets. Si le principe d'un titre de brevet unique n'est pas problématique en lui-même, les conditions de sa mise en place sont source d'inquiétude pour l'April : le projet confie la gestion des brevets à l'Office européen des brevets, dont le lobbying en faveur des brevets logiciels est bien connu. De plus, la juridiction des brevets prévue serait composée exclusivement de juges "spécialisés" c'est-à-dire non pas des juges de métier mais à des acteurs du monde des brevets, donc issu du même microcosme, et sans qu'il puisse être fait appel à un tribunal judiciaire indépendant. En d'autres termes, une telle organisation reviendrait à faire qu'un petit groupe d'acteurs soit seul maître du droit des brevets, sans contrôle démocratique1.

De très nombreux acteurs se sont positionnés contre ce projet, dangereux tant pour l'innovation, les entreprises2, que pour le respect des équilibres démocratiques et des droits fondamentaux : entreprises, juristes, représentants de la société civile3 ont exprimé leurs inquiétudes. Au Danemark, une coalition rassemblant des partis de gauche comme de droite a annoncé qu'elle refuserait un éventuel accord sur le brevet unitaire, ce qui exigerait du gouvernement danois qu'il organise un référendum avant toute adoption du texte4.

Concernant la position française, l'April a échangé sur le brevet unitaire avec des membres du cabinet de Fleur Pellerin, qui a confirmé les engagements pris dans sa réponse au questionnaire Candidats.fr contre les dangers du texte actuel. Suite à une note que nous leur avions envoyée, ils ont notamment garanti que la Ministre s'assurerait du respect de l'équilibre actuel et que le gouvernement continuerait de s'opposer aux pratiques actuelles de l'Office européen des brevets.

Difficile donc de prendre pour argent comptant les annoncées répétées de la Commission et de la présidence danoise du Conseil annonçant que le seul problème à régler reste la question du siège de la juridiction unifiée5, ignorant donc tous les questionnements et mis en garde de nombreux acteurs. Malheureusement, l'absence de transparence sur le projet empêche d'en savoir plus : ni les positions officielles des différents pays, ni les débats, ni les documents de travail ne sont publics, ce qui empêche toute analyse plus approfondies. L'April a donc demandé communication de ces différents documents et appelle à plus de transparence afin que chacun puisse être réellement informé sur le projet en vigueur.

L'April rappelle donc les dangers soulevés par le brevet unitaire, et appelle le gouvernement français ainsi que les institutions européennes à publier les documents afin que toute la lumière soit faite sur ce dossier, mais aussi à rejeter le projet dans l'état actuel, car il représente un danger pour l'innovation et plus particulièrement pour les logiciels libres. Les prochaines discussions devraient avoir lieu dans le cadre du sommet européen du 28 et 29 juin 2012, il est donc encore temps d'agir.

Ce communiqué a initialement été publié sur le site web de l'April.

Voir également l'interview ci-dessous de Gérald Sédrati-Dinet et d'un représentant de l'OEB par Audrey Tilve, que nous reproduisons ici avec l'aimable autorisation d'Euronews