Le seigneur des brevets unitaires : un aperçu du vote de plénière du Parlement européen
Maintenant que tous les amendements et la liste de vote ont été publiés, il est assez facile d'anticiper ce qui se passera mardi 11 décembre 2012, lors du vote en séance plénière du Parlement européen (PE) sur le règlement sur le brevet unitaire. Néanmoins, peu de gens trouveraient un moyen de comprendre ce qui sera voté exactement. Et il est fort probables que les eurodéputés ne sauront pas eux-mêmes ce qui se cache derrière les boutons sur lesquels ils appuieront. Aussi, voici l'histoire derrière les scintillants numéros d'amendements.
Habituellement, le vote du Parlement en séance plénière part d'une proposition initiale rédigée par la Commission européenne. Ensuite la commission parlementaire compétente sur dossier travaille sur cette proposition et vote éventuellement des amendements à cette dernière. Ces modifications votées par la commission parlementaire compétente sont présentées en séance plénière côte à côte avec la proposition initiale de la Commission, en mettant en évidences les changements et les suppressions. Les groupes politiques ou un groupe inter-partis de 40 eurodéputés peuvent également proposer des amendements à la proposition initiale de la Commission, qui sont présentés de la même manière, éventuellement accompagnés de justifications. Les amendements de la commission parlementaire compétente sont voté en premier en séance plénière, souvent lors d'un unique vote en bloc, excepté pour les amendements de cette commission touchant à des parties du texte initial de la Commission qui font également l'objet d'autres amendements. Dans le cas d'amendements conflictuels à la même partie du texte initial de la Commission, l'amendement qui s'écarte le plus du texte initial est voté en premier. Lorsque tous les amendements ont été votés, l'intégralité du texte ainsi amendé est approuvé et la résolution finale du PE est finalement votée. Avec le règlement sur le brevet unitaire, tout est différent !
Les elfes
Le premier amendement à être voté (n° 68) a été déposé par 40 eurodéputés espagnols de gauche et de droite, qui agissent comme des elfes. Les elfes sont de très vieilles cratures qui vivent depuis si longtemps qu'elles connaissent tous les anciens secret du monde. En effet, cet amendement n° 68 nous raconte toute l'histoire du règlement vécue par le règlement sur le brevet unitaire avant d'être présenté en séance plénière. Si cet amendement est voté, l'histoire se poursuivra, puisque le texte sera renvoyé à la commission compétente des affaires juridiques (JURI) pour approfondir son examen. Et il est toujours très sage de suivre les conseils des elfes.
La raison est que JURI n'a pas fait son boulot. Le rapporteur socialiste allemand, Bernhard RAPKAY, a essayé. À l'automne 2011, il a rédigé des amendements. Mais il les a abandonnés après après ce qu'on appelle les trilogues informels, om la Commission, le Conseil et les eurodéputés responsables pour chaque groupe politique du PE se réunissent afin de trouver un texte susceptible d'être accepté par les deux co-législateurs de l'Union européenne (UE), i.e. le PE et le Conseil. À cette époque, le Conseil avait déjà défini son approche générale sur laquelle s'étaient mis d'accord les ministres des États membres participants, i.e. tous les pays de l'UE sauf l'Espagne et l'Italie qui ont refusé de participer au projet, l'obligeant a être adopté selon une procédure de coopération renforcée dans laquelle seuls les autres États légifèrent avec le PE. La principale modification de la proposition initiale de la Commission voulue par le Conseil était de refuser de déléguer au bras exécutif de l'UE, i.e. à la Commission, la tâche de définir les taxes de renouvellement des brevets unitaires. Il faut noter que même dans la proposition initiale de la Commission, il n'a jamais été envisagé que l'UE perçoive elle-même un revenu provenant des taxes sur les brevets unitaires. À la place, le Conseil a délégué cette tâche à un comité restreint de représentants des États membres, au sein de l'Organisation européenne des brevets, i.e. l'organisation internationale, externe à l'UE, gouvernant l'Office européen des brevets (OEB). Ces représentants sont pour la plupart les directeurs des offices nationaux des brevets. On peut comprendre qu'ils veuillent s'occuper de l'argent générés par les tâches de délivrance et d'administration centralisées de l'OEB, qui ont de fortes chances de priver leur propre office de brevet national de collecter cet argent. Il est incompréhensible que l'UE laisse faire cela !
Cependant, le rapporteur a laissé tomber presque tous ses amendements. La Commission et les négociateurs pour le PE ont accepter la plupart des proposition du Conseil. Le tableau comparatif est éloquent. Le texte d'accord du trilogue se trouve dans la dernière colonne. Ne reflète-t-elle pas quasi parfaitement la seconde colonne représentant la position du Conseil ? Le seul ajout provenant de la troisième colonne, qui reprend la position des négociateurs du PE, est que les petites et moyennes entreprises (PME) seront prise en compte lorsque les directeurs des offices nationaux des brevets fixeront les taxes. Puisque le montant de ces taxes est encore inconnu, il est impossible de dire si ce traitement spécifique des PME compensera la perte majeur que les PME européennes subiront en étant obligée de demander des brevets unitaires couvrant 25 pays au lieu de n'en viser que 3 ou 5, voire simplement le marché national. Une telle perte est bruyamment anticipé by par les praticiens européens du brevet.
Néanmoins, le rapporteur a réussi, fin décembre 2011, a faire voter par la commission JURI l'accord imposé par le Conseil, en intimant les membres de JURI de refuser tous les autres amendements, afin de ne pas briser cet accord. Dommage pour les Verts qui avait déposés pour ce vote de JURI les amendements que nous avions proposés. Ils ont tous été repoussés sans même avoir été examinés.. Il a été également ainsi des amendements proposés par la commission de l'industrie qui donnait un avis sur le règlement. Les autres amendements rejeté par JURI comprennent ceux déposés par l'eurodéputée libérale suédoise, Cecilia WIKSTRÖM, qui relayait le désir du « microcosme des brevets », de se débarrasser de tout examen par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), non spécialiste en brevets, pour tout domaine du droit des brevets. Leur raisonnement est que le droit des brevets est l'exclusive propriété des spécialistes en brevets, et toute intrusion étrangères mettrait en péril l'ensemble du microcosme des brevets. Contrairement aux autres amendements évoqués ci-dessus, ceux-ci ont en fait été examinés, mais rejetés par le rapporteur du PE et le président de JURI, ainsi que par la Commission, car ils priveraient le règlement sur le brevet unitaire de ce qu'il est supposé réguler. En effet, les amendements proposés par le microcosme des brevets et déposés par Cecilia WIKSTRÖM consistaient à supprimer du règlement les articles 6 à 8, définissant les actes constituant une contrefaçon directe ou indirecte à des brevets unitaires, ainsi que les exceptions à ces actes contrefacteurs. Puisque la base juridique du règlement, l'article 118.1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), donne à l'UE le pouvoir de créer des brevets avec une protection uniforme à travers l'UE, le règlement se doit de définir les caractéristiques d'une telle protection uniforme, i.e. les effets des brevets unitaires, ce qui était bel et bien l'objet des articles 6 à 8.
Au début 2012, le Parlement était sur le point d'avaliser en séance plénière le texte voté par JURI et convenu en trilogue, mais il a finalement retardé son vote afin d'attendre les États membres qui se disputaient le siège de la division centrale de la Juridiction unifiée du brevet (UPC pour Unified Patent Court en anglais). Quelque chose qui ne se situe pas dans le règlement sur le brevet unitaire mais dans une convention internationale entre les États membres discutée parallèlement au règlement sur le brevet unitaire afin d'instaurer un tribunal spécialisé en brevets qui aurait la compétence exclusives sur les actions en contrefaçon ou en invalidation des brevets unitaires, ainsi que des brevets traditionnels de l'OEB. Le Parlement n'a pas son mot à dire sur l'accord UPC, puisqu'il s'agit d'un accord international externe au droit de l'UE. Mais le trilogue a décidé d'unir le destin de l'UPC avec celui du règlement sur le brevet unitaire. Ainsi le PE attendait ce que le rapporteur qualifierait ultérieurement de négociation de « bazar oriental » entre les États membres.
Lorsqu'un accord fut enfin trouvé fin juin, éclatant le siège de l'UPC entre Paris, Munich et Londres, les chefs d'État et de gouvernement de l'UE rompait l'accord de trilogue concernant le règlement sur le brevet unitaire dans le même mouvement. Ils l'ont fait en acceptant en fin de compte l'exigence du microcosme des brevets de supprimer les articles 6 à 8. Le Parlement a réagi violemment à une telle proposition en repoussant son vote de plénière qui était prévu pour début juillet 2012, le rapporteur et le président de JURI, le conservateur allemand Klaus-Heiner LEHNE, qui par ailleurs est également partenaire du cabinet juridique Taylor-Wessing de Düsseldorf, qualifiant la suppression des articles 6 à 8 d'« émasculation ». Le PE aurait pu rester sur sa position et continuer avec un vote de plénière qui aurait eu peu de chance d'être accepté par le Conseil. Et cela aurait conduit à une seconde lecture, en conformité avec la procédure législative de l'UE. Mais le rapporteur et le président de JURI voulaient arriver à une solution en une seule lecture. Ainsi, en novembre 2012, ils ont finalement accepté un soi-disant « compromis » proposé par la présidence chypriote du Conseil. Nous détaillerons ce compromis plus loin, puisqu'il fait l'objet d'un autre amendement. Contentons-nous de préciser maintenant que le the legal services of the EP a déclaré que « le texte de compromis ne règle pas toutes les préoccupations juridiques », ajoutant que cela semblait toujours « problématique ».
Malgré que le rapporteur ait promis qu'il n'accepterait pas de texte non conforme au droit de l'UE, ce qui est exactement ce qu'a pointé le service juridique du PE, il a finalement décidé de proposé le règlement au vote de plénière, y compris le « compromis chypriote ».
Bien que nous n'ayons pas encore fait le tour de tous les problèmes soulevés par le règlement sur le brevet unitaire, ceux que nous avons mis en lumière dans ce récapitulatif de la procédure législative devraient être plus que suffisant pour rejeter le texte et le renvoyer devant la commission compétente. C'est l'objet de l'amendement n° 68. Comme nous l'avons dit, cet amendement a une saveur de sagesse elfique.
Un amendement pour les gouverner tous
L'amendement ensuite voté mardi 11 décembre 2012 est l'amendement n° 70. C'est un amendement inhabituel car il englobe le texte entier du règlement. Les modifications au texte initial de la Commission sont marqués en gras et en italiques et les suppressions indiquées par un symbole rectangulaire noir ▌. Mais cet amendement ne comprend pas le texte initial de la Commission. Par conséquent, les eurodéputés n'ont aucun moyen, en se contentant de lire cet amendement n° 70, de savoir ce qu'il propose réellement par rapport à la proposition initiale de la Commission. Par exemple, comme nous l'avons montré ci-dessus, ils ne sauront pas que cet amendement délègue l'administration des taxes aux directeurs des offices nationaux des brevets, au lieu de la confier à l'exécutif de l'UE. Et s'ils n'ont pas suivi le déroulement des événements que nous avons rappelés ci-dessus, ils pourraient ne pas remarquer que les articles 6 à 8 ont été supprimés, tout ce qu'ils verront est un rectangle noir entre l'article 5 bis et l'article 9.
Cependant, une telle manière de présenter un amendement reste conforme avec le règlement intérieur du PE, car il a été déposé comme un amendement « de compromis », i.e. au nom de plusieurs groupes politiques, en l'occurrence les socialistes, les conservateurs et les libéraux, les trois principaux groupes du Parlement. Tout ceci pour dire que cet amendement va probablement passer. Mais il faut que nous expliquions ce que comprend réellement cet amendement. Car il est présenté comme introduisant un brevet unique de l'UE qui bénéficierait aux entreprises européennes, en particulier aux PME. C'est un mensonge.
Le brevet unitaire, tel qu'introduit par cet amendement, n'est pas défini comme étant un nouveau titre de brevet de l'UE. AU lieu de cela, c'est un brevet habituel de l'OEB. La seule chose que fait cet amendement est d'attacher aux brevets traditionnels de l'OEB un effet unitaire accessoire, signifiant que ces brevets unitaires sont destinés à fournir une protection uniforme sur tout le territoire des États membres participants. Mais ces brevets sont délivrés par une agence externe à l'UE, l'OEB, selon des conditions définies hors du droit de l'UE, dans la Convention sur le brevet européen (CBE), qui est l'accord international, signé en 1973 à Munich, qui a mis en place l'OEB. Cet amendement ne définit pas le brevet unitaire comme un objet de propriété. Il ne définit pas ses effets ni leurs limites, ni les licences obligatoires, ni les droits d'utilisateurs antérieurs, ni aucune des manières traditionnelles du droit des brevets permettant de contrebalancer les droits conférés par les brevets. À la place, tous ces points sont définis hors du droit de l'UE, dans les droits nationaux, dont certains sont harmonisés par l'accord UPC, qui est également une convention internationale externe à l'UE. Cela signifie qu'avec l'amendement n° 70, l'UE abandonne son pouvoir vis-à-vis de la politiques des brevets en particulier et de la politique de l'innovation en général, au profit d'institutions et de conventions internationales. La seule exception étant les brevets sur les biotechnologies et les certificats complémentaires de protection, puisque tous deux ont été régulés par l'UE il ya plusieurs années et font donc partie du droit de l'UE. La CJEU sera également compétente sur l'enregistrement de l'effet unitaire accessoire sur les brevets de l'OEB. Mais c'est tout.
Un telle construction juridique est fort probablement incompatible avce le droit de l'UE. En outre, elle s'écarte totalement des projets précédents, qui définissaient à juste titre un brevet autonome de l'UE, comme cela avait été présenté au PE lorsqu'il devait donner son accord à la procédure de coopération renforcée1. Personne ne peut prédire avec une certitude absolue la légalité ou l'illégalité de cette machinerie juridique avant qu'elle ne soit confirmée ou infirmée par la CJUE. Mais les études universitaires ont toutes soulevé de sérieux motifs d'objection à propos de sa légalités. Ce règlement se trouve sous la surveillance attentive de la CJUE. Tout d'abord à propos de la procédure de coopération renforcée, mais l'Espagne a également déclaré que si la procédure était confirmée, un autre recours serait porté devant la CJUE à propos du règlement la mettant en œuvre. Et dans tous les cas, puisque le brevet unitaire coexistera avec le brevet traditionnel de l'OEB et les brevets nationaux, il est fort probable que les entreprises ne l'adopteront pas avec de telles incertitudes juridiques et économiques. Les brevets sont une affaire de confiance. Un brevet accordé à une entreprise lui confère un pouvoir garanti par l'État pour exclure ses concurrents. Avec des incertitudes juridiques aussi fortes, les entreprises, et en particulier les PME, n'auront pas confiance dans les pouvoirs confiés par les brevets unitaires et n'en demanderont même pas, ainsi que le confirment les sondages informels parmi des représentants de l'industrie.
Cet amendement a été divisé pour être voté en quatre parties. La première partie comprend l'intégralité du texte, hormis les considérants § 21 bis et § 21 ter, et l'article 5 bis. Étant donné que, comme montré ci-dessus, la première partie n'introduit pas de brevet unique de l'UE et souffre, en outre, de sérieux doutes juridiques quant à sa conformité au droit de l'UE, les eurodéputés ont toutes les raisons de le rejeter. Cependant, puisqu'il a été déposé par les eurodéputés (ir)responsables des trpis principaux groupes politiques du PE – à savoir : Luigi BERLINGUER & Bernhard RAPKAY pour le groupe S&D (socialistes), Klaus-Heiner LEHNE, Tadeusz ZWIEFKA & Raffaele BALDASSARRE pour le groupe PPE (conservateurs), et Cecilia WIKSTRÖM pour le groupe ALDE (liberaux), son sort est fort probablement d'être adopté.
Les parties 2 et 3 de l'amendement n° 70 se rapportent respectivement aux considérants § 21 bis et § 21 ter, qui définissent que les brevets unitaires doivent être appliqués par la juridiction unifiée du brevet (UPC), et qui encouragent les États membres à ratifier l'accord UPC. Il y aurait beaucoup à dire à propos des inquiétudes soulevées par l'UPC. Mais puisqu'il s'agit d'un accord international hors de l'UE, le PE n'a aucun pouvoir législatif à cet égard. Et puisque des considérants n'ont pas de valeur juridique contraignante, il suffit de dire que les votes sur les secondes et troisièmes parties de l'amendement n° 70 se déroulent dans un cadre où divers universitaires2 ont donné des arguments convaincants montrant que l'UPC n'était pas conforme à l'avis 1/09 de la CJEU du 8 mars 2011. Cela est renforcé par le simple fait que l'avis (doc. du Conseil 15856/11 du 21 octobre 2011) du service juridique du Conseil sur la compatibilité du projet d'accord avec l'avis de la Cour de justice n'est que partiellement accessible au public, dissimulant toute indication matérielle confirmant une telle compatibilité. Il est peu probable que les eurodéputés aient eu accès au contenu non censuré de ce document. Quoi qu'il en soit, pour les mêmes raisons que la première partie de l'amendement n° 70, les secondes et troisièmes parties seront fort probablement adoptées.
Le troll chypriote
Vient ensuite la dernière partie de l'amendement n° 70, qui se rapporte à l'article 5 bis. Nous avons déjà vu avec les précédents amendements mis au vote que le règlement était déjà en piteux état, pour le moins qu'on puisse dire. Mais cet amendement lui donne le coup de grâce. En fait, l'article 5 bis met en œuvre le « compromis chypriote » mentionné ci-dessus comme étant la proposition de la présidence chypriote du Conseil pour remplacer les articles 6 à 8, qui définissaient les effets du brevet unitaire, i.e. la protection uniforme conférée par le brevet unitaire : les actes contrefacteurs directs et indirects, ainsi que les exceptions à ceux-ci. La solution proposée par cet amendement consiste à inclure dans le règlement sur le brevet unitaire un simple lien vers ces dispositions, telles que définies dans les droits nationaux. L'uniformité des effets d'un brevet unitaire serait garantie par l'application d'un seul droit national dépendant de la nationalité du déposant du brevet. Et l'uniformité entre tous les brevets unitaires reposerait sur la simple harmonisation de ces dispositions, telles qu'inscrites dans l'accord UPC.
Cela soulèvent plusieurs problèmes. Premièrement, le choix d'un droit national en référence au déposant du brevet engendre une certaine incertitude durant la vie du brevet, qui peut être vendu ou transféré. Deuxièmement, l'harmonisation laisse une marge de liberté à chaque État contractant de l'accord UPC pour s'y conformer. Troisièmement, cet article n'est qu'une coquille vide, aucune protection uniforme n'est réellement définie, puisqu'elle doit être trouvée ailleurs, à savoir dans les droits nationaux harmonisés par un accord international. Quatrièmement, la protection uniforme conférée par le brevet unitaire n'est pas définie par la procédure législative ordinaire de l'UE, comme exigé par l'article 118.1 TFUE, avec le Parlement et le Conseil comme co-législateurs et des votes pondérés définis dans les Traités de l'UE. À la place, elle est définie par les règles externes à l'UE de l'UPC, avec un vote par État contractant et un droit de veto, y compris lorsqu'une modification des dispositions de l'UPC est rendue nécessaire pour le rendre conforme au droit de l'UE, et bien entendu sans implication aucune du PE. Il suffit d'imaginer qu'au cours du temps, une exception à la protection conférée par les brevets unitaires, par exemple l'exception pour les fermiers et les éleveurs, ou celles pour les activités de recherche, s'avère insuffisante. Le législateur de l'UE, et en particulier le PE, n'auront aucun pouvoir pour changer cette exception au sein de l'accord UPC.
Ls conséquences sont doubles. Tout d'abord, cet amendement réalise le but du microcosme des brevets : la CJUE n'aura pas de compétence pour être saisie de questions préliminaires portant sur les contrefaçons de brevets. Cela n'est pas passé inaperçu à l'eurodéputée Cecilia WIKSTRÖM, qui était la principale partisane au sein du PE d'une exclusion aussi large que possible de la CJUE et qui a applaudi le compromis chypriote. Ensuite, comme le montre la citation, rapportée ci-dessus, du service juridique du PE, cet amendement n'est pas plus conforme à l'article 118.1 TFUE, la base juridique du règlement sur le brevet unitaire, que ne l'était la franche suppression envisagée des articles 6 à 8.
En résumé, la quatrième et dernière partie de l'amendement n° 70 n'est rien d'autre qu'un affreux troll. Dans le meilleur des cas, elle conduira la CJUE à conclure à l'illégalité du règlement sur le brevet unitaire. Au pire, elle privera l'UE de tout contrôle sur sa politique des brevets. Néanmoins, pour les mêmes raisons ses parties cousines de l'amendement n° 70, ce troll sera fort probablement adopté, écrasant tout sur son passage.
Les hobbits
Après que toutes les parties de l'amendement n° 70 ont été votées, tous les autres amendements se rapportant à des endroits du textes modifiés ou supprimés par celui-ci vont juste tomber. C'est le cas des amendements votés par la commission (ir)responsable JURI et des amendements n° 77, 78, 79, 80, 81, 83, 84, 85 et 87. Tous ces amendements ne seront même pas mis au vote. Dommage pour une exception efficace pour les éleveurs et les fermiers. Dommage pour rendre toute décision de l'OEB sujette à un contrôle d'un tribunal indépendant, ce qui était pourtant une exigence exprimée par les avocats généraux de la CJUE. Dommage pour l'inclusion du PE dans la gouvernance du brevet unitaire. Mais puisque ces amendements seront très probablement ignorés en séance plénière, nous ne les détaillerons pas plus ici.
Entrent en scène les hobbits ! Les hobbits sont de mignonnes petites créatures qui travaillent dur. Pour le brevet unitaire, les hobbits ont travaillé dur pour le rendre efficace, malgré son architecture initiale branlante. L'amendement n° 71 propose de supprimer l'affirmation que le règlement sur le brevet unitaire constitue un accord particulier au sens de l'article 142 CBE. Cet article de la CBE, la convention internationale externe à l'UE ayant installé l'OEB, autorise les États contractants de la CBE à conclure par un accord que les brevets couvrant leur territoire offrent une protection uniforme. Bien que ce soit le même objectif que le règlement sur le brevet unitaire, c'est une disposition d'une convention internationale, s'appliquant à ses États contractants. L'UE, en tant qu'entité juridique, n'est pas un État contractant de la CBE. Le règlement sur le brevet unitaire est un acte normatif de l'UE, il ne peut être vu comme un accord international et il est l'expression de l'UE, pas de ses États membres. Le conflit entre deux ordres juridiques, d'une part le droit public international et de l'autre, le droit interne de l'UE, met en péril la sécurité juridique du règlement sur le brevet unitaire. N'importe quel État contractant de la CBE, y compris l'Espagne et l'Italie qui ne participent pas au brevet unitaire, mais également les États ne faisant pas partie de l'UE, tels que la Suisse, la Turquie ou Monaco, pourrait attaquer la légalité du règlement sur le brevet unitaire. Par conséquent, l'amendement n° 71 procurerait un rempart au règlement sur le brevet unitaire.
C'est également le cas pour l'amendement n° 75, qui définit explicitement que le brevet unitaire est un titre de brevet de l'UE. Conformément à l'article 118.1 TFUE, le règlement créerait bien ainsi de manière incontestable un nouveau titre de brevet.
L'amendement n° 76 poursuit le même but de garantir la sécurité juridique du règlement sur le brevet unitaire en affirmant explicitement son caractère autonome. Cela signifie que le brevet unitaire serait régi uniquement par le droit de l'UE. Il s'en suit que toute règle utilisés pour qu'un brevet unitaire existe est considérée comme faisant partie du droit de l'UE et, par conséquent, peut être soumise à l'examen de la CJUE. Ceci comprend les règles sur la brevetabilité, sur la révocation ou sur la protection uniforme conférée par les brevets unitaires. Il faut noter qu'un tel caractère uniforme était défini dans tous les projets précédents3 pour un brevet unique de l'UE, a été accepté unanimement par le Conseil4, et a été présenté ainsi au PE lorsqu'il devait donner son accord à la procédure de coopération renforcée. Cet amendement est bel est bien la clé pour définir un authentique brevet unique de l'UE, donnant tous les pouvoirs à l'UE, et en particulier au PE, sur la politique européenne des brevets et de l'innovation.
L'amendement n° 72 va un cran plus loin en demandant à la Commission de présenter une législation future sur le droit matériel des brevets. Alors que l'objectif du règlement sur le brevet unitaire est d'unifier le droit des brevets pour l'UE, il met la charrue avant les bœufs. Le droit des brevets n'est régulé par l'UE que dans un très petit nombre de domaines, à savoir les inventions biotechnologies et les certificats complémentaires de protection. Une politique appropriées des brevets pour l'UE, qui soit équilibrée et efficace, exige plus de travail de la part du législateur de l'UE. L'amendement n° 72 propose de planifier ce travail.
L'amendement n° 73 commence ce travail par inscrire dans la législation sur le brevet unitaire la définition de la brevetabilité, telle qu'elle est définie dans la CBE, en y ajoutant de la clarté quant aux exclusions de la brevetabilité qui ont conduit à des interprétation divergentes par divers tribunaux nationaux. Ainsi, cet amendement contribue à l'objectif de disposer d'une application unifiée des brevets unitaires.
L'amendement n° 74 exclu clairement les brevets logiciels, dans la ligne de ce que le PE avait approuvé en 2003 et 2005. Le rapporteur RAPKAY ne semble pas réaliser combien les dizaines de milliers de brevets logiciels d'ores et déjà délivrés par l'OEB, à l'encontre de l'esprit et de la lettre du droit, menacent d'exploser avec le brevet unitaire et la juridiction unifiée du brevet. Nous avons déjà démontré cela, et l'amendement n° 74 fournirait une solution pour protéger les entreprises européennes.
L'amendement n° 82 rappelle que les tâches administratives relatives au brevet unitaire, qui ont été déléguées à l'OEB, doivent se conformer non seulement à la CBE, mais avant tout au droit de l'UE.
Enfin, de la même manière, l'amendement n° 86 rappelle que le brevet unitaire doit no seulement être en conformité avec le droit de la concurrence et le droit relatif à la concurrence déloyale, mais également avec le droit de l'UE dans son intégralité, y compris avec les droits et libertés fondamentaux, qui entrent effectivement souvent en conflit avec le droit des brevets.
Mais les hobbits sont de petites créatures, leurs amendements n'ont été soutenus que par le groupe des Verts. Ces amendements n'ont donc qu'une très faible chance d'être acceptés. Dommage pour l'efficacité, la sécurité juridique et les améliorations procurées par leur dur labeur !
Conclusion
Étant donné le rapport de forces, qu'une simple observation de qui a déposé quel amendement rend assez clair, il n'est pas très compliqué de prédire le résultat de ce vote. L'amendement de elfes sera probablement rejeté. Parce que les eurodéputés, ignorant la sagesse des elfes, partent du principe que les elfes ne veulent rien d'autre que préserver leurs langues elfiques. L'amendement pour les gouverner tous sera probablement adopté. Toutes ses parties, y compris le troll chypriote. Parce que les eurodéputés (ir)responsables pour les trois principaux groupes ont ingénieusement dissimulé son illégalité et son inefficacité à promouvoir l'innovation et à protéger les PME de l'UE. Et les amendements des hobbits seront probablement rejetés. Parce que les hobbits sont une petite espèce et les eurodéputés pensent qu'ils ne racontent que des fantasmes.
Cependant, ce destin peut encore être modifiée. Si un seul amendement, autre que l'amendement n° 70, est adopté, le règlement sur le brevet unitaire ira en seconde lecture. Dès lors, qui sait si ce résultat stupéfiant n'ouvrira pas finalement les yeux des eurodéputés, et les rendra enfin prêts à prendre au sérieux le droit des brevets de l'UE. Les lecteurs sont encouragés à éduquer les eurodéputés avec ce qu'ils auront appris ici. Il reste moins de 24 heures pour les appeler gratuitement. Les citoyens peuvent, vous pouvez changer le rapport de forces !
- 1. COM(2010) 790 final - 2010/0384 (NLE), Proposition de DÉCISION DU CONSEIL autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection unitaire par brevet, MESURES DE MISE EN ŒUVRE DE LA COOPÉRATION RENFORCÉE : « 4. le brevet unitaire devrait être autonome ».
- 2. Cf. inter alia Thomas Jaeger, All Back to Square One? - An Assessment of the Latest Proposals for a Patent and Court for the Internal Market and Possible Alternatives (December 15, 2011), International Review of Intellectual Property and Competition Law (IIC), Forthcoming, Max Planck Institute for Intellectual Property & Competition Law Research Paper No. 12-01, disponible sur SSRN: http://ssrn.com/abstract=1973518; ou Fernand de Visscher, Juridiction européenne des brevets (Unified Patent Court) : il est urgent d'examiner une autre approche, plus réaliste et plus équitable, Propriété Industrielle, 2012, n°4, avril 2012, étude 8.
- 3. 76/76/CEE : Convention relative au brevet européen pour le marché commun (convention sur le brevet communautaire), Journal officiel n° L 017 du 26/01/1976 p. 0001 - 0028, Article 2 : « 3. Le brevet communautaire a un caractère autonome. Il n'est soumis qu'aux dispositions de la présente convention et à celles des dispositions de la convention sur le brevet européen qui s'appliquent obligatoirement à tout brevet européen et qui de ce fait sont réputées constituer des dispositions de la présente convention ».
- 4. Document du Conseil n° 16113/09, Proposition de règlement du Conseil sur le brevet communautaire - orientation générale, Article 2 : « 3. Le brevet de l'UE a un caractère autonome ».